Costa-Rica : heureux qui comme un paresseux…

Il est des silences qui sont plaisants, lorsque, habitant au coeur d’une métropole Européenne comme Amsterdam, l’on souhaite se reposer, se concentrer, se sentir seule. Mais ce même silence peut se retourner comme une claque en une prise de conscience: le ciel gris est figé, pas un bruit dehors, seul mon frigo roucoule. En décembre, à Amsterdam, il n’y a aucune vie,
Animale ou végétale, même plus une feuille pour frissonner.
L’hiver, mais surtout  le béton et la brique, l’avancée de l’homme industrieux et commerçant sur la mer avait figé la beautée naturelle à l’état du passé.
Frissonnant, carencée, déjà, de vie naturelle, j’étais de retour du Costa Rica, là où chaque matin je me levais avec le soleil pour aller prendre ma place sur la terrasse, kiwi (le chat) à mes côtés, en première loge du spectacle de la nature tropicale, spectacle vivant insufflé par mélopées incessantes des passereaux locaux.

Il y a deux sortes de pays. Ceux qui, sur leur billets, affichent toujours un certain culte de la personnalité,  idolâtrent de “civilisantes” technologies, et ceux, comme le Costa Rica (ou le Népal) qui figurent au centre de leurs devises leur faune fétiche, leur flore sauvage. Colibri, Paresseux, Singe-Araignée, Requin, papillon Morpho, biche : comparer les bouts de papier de mon porte monnaie, me rappelaient que, jusqu’à ce qu’on appelle “la maturité”, je voulais être biologiste et non pas participer à la fuite en avant technologiste, c’est raté, il faudrait que j’échange ma monnaie.

Mais grâce à ma soeur et aux connaissances zoologiques avancées de Timothée et Margot, mes neveux expatriés, j’ai eu la chance de pouvoir observer presque chacune des créatures de ces billets. Je leur dois ce récit, eux qui, me voyant prendre des notes dans mon carnets se demandaient bien ce que je pouvais écrire. “Un livre sur le Costa-Rica”  leur fis-je miroiter. Qui sait, en voilà peut-être les balbutiements, accompagnés de quelques une de leurs illustrations.

Acclimatation au pied de la cordillère du Guanacaste
Ce premier voyage commença comme il se termina, à 5h30 d’un matin tropical qui en vaut mille milliard. Mon regard perdu dans les palmacées qui s’élevaient d’une pente, suivant les oiseaux, terminant à l’infini sur les collines couvertes de jungle d’où se levait le soleil et filaient les derniers nuages de la saison des pluies.


Jaune, rouge, vert, toujours resplendissants les volatiles piaillaient de bon coeur leur rag* du matin ajoutant à l’image la bande son des tropiques.
Au loin ça rugissait. Un lion ? il n’y en a pas sur ce continent. Un puma ? espérons que non. Des singes hurleurs, oui,  surprenamment.
Plus prés les vaches meuglaient, pas encore dérangées par le hurlement des moteurs de quads qui s’étouffaient sous la poussière des pistes.
J’évaillais mes sens aux abords de ces plaines du Guanacasté, entre océan Pacifique et cordillère volcanique.

Timothée avait fait les présentations : “Hélène voici Madame La Mygale Du Lavabo, Madame La Mygale Du Lavabo ça s’est Tati Hélène”, histoire de se souvenir qu’ici, bipèdes démunis de dard, pince ou mandibule, nous n’étions pas seuls et qu’il faudrait se méfier.
J’étais mentalement prête pour aller m’acclimater en famille du coté de Bijagua, sur les contreforts humide des montagnes volcaniques, et peut être y repérer l’animal mascotte : El Paressoso (le paresseux).
Dans notre 4×4 affublé d’un autocollant “Save the Jungle”, l’herbe, déjà un peu jaunie, fut vite remplacée, par une végétation plus luxuriante encore, plus fertile bien qu’écrasée par quelques roches volcaniques projetées deci-delà de l’un des cratères auxquels s’accrochaient encore les nuages de la saison des pluies.
Sirotant une pipa fria*, mes mains s’humidifiaient d’eau de coco, elles ne sécheraient plus du weekend.

Dans cette jungle tropicale (pourtant qualifiée de “ tropicale et sèche” par les botanistes), au bord du torrent qui serpentait entre des arbres géants qui se moquaient bien des records de densité de la Randstad Néerlandaise, tout objet quelque peu fibreux ou poreux épongeait l’humidité ambiante. Même les feuilles du carnet sur lequel je couchais ces mots se mettaient à gondoler.

 

Profitant de la fraîcheur de la cordillère du Guanacasté, les oiseaux passiformes se relayaient sur un régime de banane laissé à l’abandon. Ils le faisaient par famille de couleur : vert tapenade, plus turquoise qu’un perak Tibétain, bleu céleste ou safir, safran ou écarlate, ayant la bienséance d’éviter les contrastes inhabituels aux yeux des touristes adaptés. Il faudra attendre le soir ou un réveil très matinal pour les voir remplacés par la vedette arboricole des tropiques.

Guit-guit sai, Guit-guit émeraude, Cherrie’s tanager, décampaient pour laisser place à l’appendice colorée du toucan. Les araçaris à collier venaient sans honte se servir en bananes sous les yeux des hôtes de la finca. Le plus grand des toucans du Costa-Rica, qui porte mal son nom francisé de “ toucan tocard” restait dans les hauteurs des arbres. Sophie, habituée à ses cris savait me dire quand ils étaient dans les parages et quand les épier de nos jumelles montées vers le ciel.

Le toucan Tocard par Timothée

 

Dans la jungle, nous regardions à la fois les cimes et nos pieds, espérant apercevoir un paresseux, éviter une mygale. Nous enjambions “jaïnismement” des régiments d’infanterie de fourmies déplaçant des feuilles bien plus grosses qu’elles, comme si de feuilles la forêt n’en était pas pleine, comme le dit l’expression “la feuille est toujours plus verte ailleurs”.

Non plus à l’orée mais engoncés dans la forêt, on se frayait un chemin dans sa densité. Partout où la vie avait pu se faire une place, elle l’avait fait. Je fis même la connaissance d’un arbre qui pourrait me tenir compagnie lors de mes randonnées : un arbre qui marche ! On pourrait le croire sorti de l’imagination de Timothée et Margot, mais non, mes experts en herbes (en arbres et en bestioles) étaient formels, cet arbre se déplaçait avec ses racines, ses racine échasses.  Bien qu’ayant un nom de sage “Socratea”, il n’avait rien d’un Sylvebarbe, il s’agissait d’un palmier élancé au tronc retenu par un système de racines coniques capable de se déplaçait dans l’éventualité où l’un de ses vieux voisins venait à lui faire de l’ombre ou s’avachir sur sa structure.

Margot marchait d’un pas décidé, elle aurait aperçu l’ombre du puma et voulait que nous sortions de cette forêt le plus vite possible. D’un pas décidé mais prudent dans la gadou éternelle de la forêt pluvieuse.
Au bord de la rivière sur le tapis de feuilles, victuailles en décomposition de cette forêt vierge autosuffisante modèle d’écologie circulaire, nous nous attendions à ce que Margotte repère de petites grenouilles pigmentées, de petites tortues mais sans doute leur camouflage nous a fait les rater.


Les vaches des cowboys nous attendaient en bordure de forêt dans l’herbe que les rayons du soleil de fin de journée presque équatorienne teintaient de smaragdin.

La lisière contrastait d’autant plus que les collines volcaniques d’arrière plan étaient couvertes du bleu cobalt des nuages porteurs de pluies tropicales.
Ces pluies qui percuteraient le toit de tôle de notre cabane une bonne partie de nos nuit. Et, quand les nuages avaient tout laché, ils passaient le relais aux arbres et leurs milliers de feuilles qui continuaient leur goute à goute, laissant croire à qui ne lève pas les yeux au ciel que la pluie jamais ne cessée.


Les cowboys passaient et repassaient, nous apportaient leurs viandes fraîchement tuées, fraîchement grillées, leurs courges sucrées, leur fromage légèrement fermenté.
Les repas défilaient et marquaient le temps.

Nous allions bientôt quitter ce coin de paradis humide et je n’avais toujours pas vu de paresseux.
Et pourtant, dans mon rocking-chair de cowboy, j’avais suffisamment  basculé, mes yeux augmentés par des jumelles, à scruter le dessous de la canopée.

 

Et pourtant il était là, juste au dessus de moi, ce matin des voisins l’avaient repéré dans un arbre au dessus de notre cabane. En boule sur sa branche, jamais je ne l’aurais repéré. Et des masses sombres dans les arbres il y en a par centaines, il s’agit de termitières. D’autant plus qu’à rester là-haut l’animal moisissait, au sens propre, parfaitement intégré à son environnement le tardigrade se couvre de mousses vertes, comme les troncs, les branches et tout ce qui n’était pas brossé régulièrement. Nous pouvions voir ses bras bouger et son déplacement vif conforme à la légende. Puis, il s’était décidé à tourner la tête vers Margot “Le paresseux! Il m’a fait un sourire” et nous dévoiler son visage pâle exempt de lychen.


 

 

 

 

 

 

 

 

Costa-Rica : Luis et ses cacaoyers

Suite de l’article « Heureux qui comme un paresseux »

Si l’humidité faisait moisir la mascotte nationale et donnait à mes cheveux l’aspect d’une mise en plis de mamie ratée, elle avait du bon, et même du très très bon. Les minéraux des terres volcaniques, l’ombre de la forêt et cette humidité retenue par cette même forêt… faisait du paysage un terrain propice à l’agroforesterie cacaoyère.

Autours du ranch de la Carolina Lodge, à Bijuagua, quelques discrètes exploitations de cacao s’étaient faites une place dans les trouées ouvertes dans la jungle.


Il fallait prendre de l’altitude dans les collines pour aller voir comment d’une petite fleur fragile on pouvait finir avec la nourriture des dieux: le chocolat, traversant le village et ses simples maisons de plain-pied dont la richesse des ornements de Noël dénotaient avec le paysage et surtout avec la météo. Sapins enguirlandé, couronne du même épineux, avait dû en faire des kilomètres avant d’arriver dans cette Amérique des tropiques.

Au contraire de la magie mondialisée et discordante d’un Noël sous les tropiques, ces petites fermes locales telles que la Finca Amistad montraient que la bonne formule était locale, responsable et intelligente, usant des techniques de permacultures, faisant de nous des gourmands un peu plus conscients.

C’est Luis, jeune Nicaraguayen employé de l’exploitation, ayant fui le désordre et la violence de du pays dont on pouvait contempler les plaines et le gigantesque lac depuis la route qui montait et descendait dans les collines, qui nous a fait voyager du macro au microcosme pourvoyeur de saveur.

Nous avons commencé notre tour de l’écosystème sous les feuilles de bananiers, indispensables partenaires des arbres à chocolat, apportant l’ombre nécessaire au maintien d’un environnement tièdement moite. Nous écoutions attentivement les explications hispanico-anglaises de Luis tout en prenant garde de ne pas nous attarder sur le passage de petites fourmis noires. Elles semblaient si minuscules qu’inoffensives mais leurs piqûres s’avéraient les plus douloureuses que j’ai pu expérimenter, bien que n’ayant pas poussé la démarche scientifique à une comparaison subjective en me frottant aux scorpions ou mygales. En se faufilant dans les interstices de nos tongues, elles transformaient un moment serein en une grotesque situation où les plus vaillants des adultes se mettaient à sautiller en gémissant de douleur face à cette décharge inattendue.

Outre l’alignement des cacaoyers, le sol et les cimes de la ferme restaient sauvages mais les cohabitations végétales et animales n’étaient pas tant laissées au hasard mais suivaient les principes et lois naturelles d’un certain socialisme végétal donnant une importance à chacun sans relation exploiteur-exploité. Ici la biodiversité était belle mais aussi fonctionnelle, l’écologie – oikos-logos – réellement holistiques. Ce n’est pas pour rien que le nom scientifique des cacaoyers est “Theobroma” -Theos: dieu, Broma: nourriture – seul le dieu nature détenait la bonne formule et c’était lui qu’il fallait observer.
Et pourtant, dans le monde et particulièrement dans l’Afrique sur-exploitée, moins de 10% du cacao grandit sous les auspices protecteurs de forêts tropicales protectrices et participe de son opulence au soutien à la biodiversité.

Pour se débarrasser de l’embarras causé par les écureuils aux mâchoires d’acier capables de creuser une cabosse qu’un humain mettait toute sa force à ouvrir bien qu’outillé d’une machette aiguisée, des macadamias avaient été plantés. Les écureuils y trouvaient leur compte, se goinfrant de leurs noix moins intéressantes pour les clients suisses et belges et laissant tomber leur avidité pour les lingots locaux, tout le monde, poilu ou pas, y gagnait.



Toutes les bestioles étaient bienvenues, une famille de tapir avait même laissé sa tanière ouverte pendant qu’elle devait profiter de son sommeil diurne.
Les papillons à l’envergure et aux teintes décomplexées virevoltaient entre les feuillus, tout comme les pollinisateurs attirés par les bananiers, les mandariniers et fleurs odorantes. Les fleurs hermaphrodites de cacaoyer étaient tout aussi éphémères que les lépidoptères, 24h tout au plus. Ainsi fallait-il en rameuter des armées butineurs en leur proposant les conditions climatiques et nourricières avantageuses.

 

 

 

 

Pour ces cacaoyers méso-américains qui vivaient entourés de diversité salvatrice, la couleur de leur cabosse n’avait d’importance qu’à nos yeux avides de la beauté des dégradés roses, oranges, verts et violets de leur enveloppe. Eux aimaient la mixité, se métisser, s’hybrider pour se renforcer.

 

 

 

 

 

 

 

Les cabosses vidées d’une partie de leur richesse mucilagineuse étaient déposées en tas en lisière des rangées d’arbres, elles se décomposaient et apportaient le nitrogène nécessaire à la fertilisation naturelle des sols.

Leur contenu, des fruits frais recouverts d’une chair au goût fleuri et variant selon les espèces, s’apparentait à des litchis. Margotte en rafollait, pendant une bonne partie de la visite elle se balade avec sa cabosse qu’elle pouponnait dans ses bras, grappillant les fruits visqueux et fuyant et les suçant comme des bonbons.

Ceux qui ne finissaient pas dans sa bouche, étaient déposés dans des caisses de bois pour y fermenter jusqu’à ne laisser à découvert que la fève. Elle aussi devait sécher au soleil et à l’abris de l’humidité, ce qui n’était pas chose aisée ici. Il fallait alors parfois les transporter vers des altitudes moins élevées, débarrassées des pluies éternelles.

Les trésors extraits de leur cocon prenaient alors la voie du chocolat.
Broyées, par des machines ou des Hommes un peu plus musclé qu’un gringalet français, elles finissaient en pâte de cacao qui odoraient l’exploitation.

 

 

Malgré la chaleur est mes doutes quand qu’à leur survie jusqu’au frigo de retour à Matapalo, je repartirais avec ces odeurs empaquetées dans du papier d’allu estampillé “Finca la Amistad”, à Amsterdam un dimanche pluvieux, leurs saveurs me servirait de tour-operator pour m’envoler de nouveau, du moins gustativement, vers le Costa-Rica.
A la Carolina Lodge nous aurions pu nous en faire un chocolat au lait. A l’étable, pendant que la vache mâchait les restes de nos repas trop consistants, nous lui tirrions sur les pis remplis de lait qu’on sentait chaud à travers les aspérités. Rien ne sortait de ces glandes galactophore, juste la honte d’avoir perdu des compétences néolithiques qui ont fait de la France le pays au 400 fromages.

 

3 commentaires pour “Costa-Rica : heureux qui comme un paresseux…

  1. La première photo est incroyable, tellement de couleurs… Oo
    Il en manque une du fameux paresseux, mais je comprend que sur le moment, il vaut mieux profiter de l’instant plutôt que courir prendre son appareil. Vivons l’instant présent!
    petit edit pour nous rajouter les définitions de pipa fria et rag? :3

    • « pipa fria » –> coconut percée dans laquelle on plante une paille
      « rag » –> mode de musique classique indienne qui s’applique à certain moment de la journée ou à une humeur

      Le paresseux il fallait le téléobjectif pour l’avoir en photo, il fallait les jumelles pour distinguer sa petite tête dans la cime.

      La première photo je dois dire qu’elle a été prise avec mon Fairphone 3 et retouché avec le logiciel photo de Mac

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