J’irais au Spiti#4 – Nomades du Tso Kar

Episode précédent : Tso Kar

L’atmosphère iodée de notre petite mer Himalayenne, le Tso Kar, aux environs de laquelle nous avons passé une journée à produire tranquillement des globules rouge avait fait grand bien à Romain, notre lent-à-la-détente-de-l’acclimatation.

Nous allions pouvoir poursuivre notre chemin, quatre jours de marche pour atteindre une autre mer Himalayenne, le Tso Moriri, à mi chemin de tibétain entre le Ladakh et le Spiti, notre objectif.
Nous marcherions avec toute la lenteur nécessaire pour prévenir un souffle raccourci, des intestins au ralenti, un cerveau ramolo. Les grigris pendant aux rétros des jeeps de touristes et les bons voeux d’une Sainteté Le Dalaï Lama à la tronche collée sur tous les par-brises ne seraient alors plus à porté de miracle si un problème survenait.
Gantés et capuchonnés nous repartions ce matin là avec le sourire, d’autant que c’était l’anniversaire de Romain et que ce soir Logsang et Dorjé lui prépareront un gâteau surprise cuit… au feu de bouse. L’élégance d’un anniversaire à 5000m en quelque sorte.

Banquise de sel

Sur la piste qui mène du bivouac aux rives du lac nous croisons deux sortes de chevaux : ceux des jeeps de touristes qui usent de leur puissance motrice pour s’approcher au plus près des rives et, dans ce safari steppique, au plus vite de leur muse photographique : les troupeaux de kiang, cette seconde sorte d’équidés.

L’un d’entre eux, plusieurs centaines de crinières peut être, traverse la piste que nous venons de quitter. Nous en avions repéré la sentinelle sur une colline, ses pattes, aux tons isabelles, fondues dans le paysage, prêt à galoper en direction de son groupe d’hémiones pour l’avertir d’un danger. Que de précautions pour quelques léopards des neiges traînant par-ci par-là. Selon les statistiques écosystèmiques Himalayenne il y aurait un léopard pour dix kiang. Mais seuls 60 000 kiangs subsistent encore dans le monde, sur le plateau Tibétain, la moindre perte verra d donc d’autant plus ses effets décuplés. S’il n’y avait que les fourrures sur pattes, la nature ferait sans doute son travail d’équilibrage mais le plus grand prédateur pour toutes ses bêtes reste l’homme , son exploitation minière, ses routes militaires. Volontairement pas de “H” majuscule à “homme”, ça serait leur, nous,  donner trop de déférence).

A la hauteur de l’enjeu reste quelques Hommes, comme notre ami et garde de réserve naturelle Khenrab Phuntsog, qui tentent de freiner cette extinction majeure, notre anthropocène en définitive. L’organisme pour lequel il s’investi, le “Department of Wildlife protection” pose des panneaux au bord des tso* pour enjoindre le touriste pressé comme le trekeur, à se faire silencieux, petit, face à ce qu’il reste de vie sauvage, à respecter les sanctuaires dont il n’a conscience ni de l’existence, ni de la valeur qu’il écrase avec l’épaisse couche de gomme et de cuire. De sa petite perspective, il croit les steppes infinies, indestructibles.

A deux pas de ce panneau, nous observons quelques naïfs black-necked cranes*, pépites dans un ciel de migration qui n’en compte plus que 900 individus, autant que d’oiseaux mécaniques atterrissant ou décollant de Paris-CDG chaque jour.

Prenant de l’avance sur Romain et Rigzin, je m’approche du lac, au milieu des charas, ses algues dont la chlorophylle a ravivé nos organismes, je jouis d’un horizon vierge de toute humanité, d’une banquise. Oui une banquise ! Moi dont la nouvelle lubie est de voir le  Groenland, j’ai un avant-goût de la pureté de la lumière que j’imagine y trouver, à cela près qu’ici la banquise est de sel et non de glace. Les larmes de Tara*, comme le croient les plus superstitieux des membres des peuples himalayens, ont formé cette croûte blanche sur le lac, source de richesse des nomades Tibétains qui le récoltaient dans tout le Changtang pour l’échanger contre une autre poudre, plus fine encore, la farine d’orge. Mais une vielle rancune chino-indienne a réussi à faire poser une frontière infranchissable dans un désert et le commerce du sel s’éteint.

D’ailleurs, avec un nomade, Rigzin a fait la conversation ce matin. Sédentarisé au camp de Thugje, il venait réclamer les quelques roupies dues pour avoir passé deux bivouacs dans le coin. Commerçant dans l’âme il avait tenté de glaner une compensation supplémentaire pour le maintien d’un site propre échauffant alors les oreilles de Rigzin qui se désolait depuis deux jours que l’eau soit remplacée par des détritus dans les veines qui alimentaient le coeur du Tso Kar.

Vous ne rêvez pas, Rigzin a un cheval qui lui sort du dos

Un nomade nomadisant sans son cheval n’est pas un vrai nomade

Après quelques heures de marche le long de la rive orientale de ce miroir satiné, nous approchons un campement d’hiver de nomades.
Dans ce couloir de vent nous nous réjouissons de pouvoir trouver un mur derrière lequel nous abriter pour grignoter le pique-nique que Lobsang nous avait préparé.

Autours de nous, les toits et les cours sont des collections de bouses, combustibles pour les longs mois d’hiver, lorsque la température baisse jusqu’à -30°C. Dans ce désert, ce n’est pas sur les arbres ou la matière végétale qu’il faut compter pour se réchauffer, faire cuire ses momos ou faire chauffer l’eau du bain. Conserver ses petites bouses à des fins fertilisantes serait aussi utile qu’un smartphone dans cette zone sans le moindre réseau,. Les nomades ne cultivent pas, la terre ne leur permet que tout juste de faire paître les bêtes dont ils échangeront les produits et parfois la vie contre la farine d’orge.

Ici la gestion des animaux domestiques suis les préceptes de l’économie circulaire, from “Cradle to cradle“*. De leur vivant, leur lait, leurs poils sont utilisés et de leur mort reste leurs vieux os et leur viande séchée. J’imagine la tête de Grand-père Nomade si son petit-fils citadins de montagnes revenait de grande ville avec son China-phone et sa dégaine de hipster des haut-plateaux et lui annonçait : “Mémé-lé*, je ne prendrais pas de viande au diner, je suis vegan”. Et mémé-lé qui rétorquerait : ”Mais… tu vas manger des cailloux ou quoi?”. Encore davantage qu’en été, en hiver consommer la viande et une question de survie, il n’y a rien d’autre sur le plateau.

Le nomadisme pastoral serait donc le berceau du zéro déchêts ? Le monde perdu vers lequel Romain et moi cherchons à nous approcher ?

C’est fini tout ça. Par-ci par-là, traînent de vieilles chaussures en matière synthétique, des déchets, signes que les changpas ne vivent pas à l’âge de pierre mais, comme nous, à celui du “yackment pratique”  : du plastique, du synthétique, du jetable.

Désormais nous espérons seulement que ce soient seulement des panneaux solaires qui prennent la place des bouses sur le toits et non des jerricans d’essence qui, en venant alimenter de bruyants générateurs, mettrons fin au droit au silence que nous devons rechercher si loin et si haut.

Les basses portes des quelques masures sont fermées par des cadenas, en ce début d’automne les nomades nomadisent.

Alors que nous plongeons nos mains dans nos sacs de fruits secs pour terminer notre repas, nous nous faisons surprendre par un cheval, domestiqué cette fois. Aussi circonspect que nous de nous trouver là, la panique le fait bondir et se presser derrière ses palefreniers.

Deux cavaliers, un homme, sans doute moins vieux que son visage qui a encaissé tous les coups du soleil ne laisse penser et un garçon chez qui l’atmosphère légère et froide à déjà laissée ses marques descendent de leurs selles. Les chevaux transportent sur des steppes, les  arabesques typiques de leurs selles en tissu nous établissent dans leur culture.

De magnifiques yeux bridés nous saluent. Comme de vieux voisins qui ne se seraient pas croisés depuis des semaines, ils entament la conversation avec Rigzin. La facilité avec laquelle s’instaurent les échanges sur ce haut désert me fait penser à une réplique du Dalai Lama “All the same, no difference”*. Ici les gens sont toujours curieux d’en savoir plus sur les inconnus qu’ils croisent, s’interrogent sur leurs éventuelles difficultés, la façon dont ils pourraient aider.

Pour les adieux, Rigzin leur offre un morceau d’une pastèque qui a dû traverser l’Inde avant d’arriver dans son sac à dos. Je leur tends mon sac d’abricots sec. Ils acceptent sans rechigner ou s’encombrer d’un “zangman”, le refus de politesse Ladakhi, nous offrant en retour un sourire sincère et de brillants yeux bridés.

Au Camp de Nuruchan, d’autres nomades étaient passés par là, du moins leur bétail.
Pendant que Romain et moi nous tenons chaud dans la kitchen tent à boire du thé et bénéficier de la chaleur des fourneaux de Lobsang, Rigzin fait son choix parmis les nombreuses bouses qui parsèment notre camp. Elle nous serviront à la cuisson du cake anniversaire et à quelques minutes d’un feu de joie en l’honneur de Romain. Mais cette nuit, ses flammes, attisées par le vent qui emportait les bouses, n’ont pas suffit à nous réchauffer et jamais une soirée d’anniversaire n’aura été si vite expédiée. 19h30 ont sonné le couvre feu… de bouses.

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