J’irais au Spiti en suivant la trace des Kiang – intro

Nous venons de passer deux mois dans les transhimalayas indiens, entre Ladakh, Zanskar et Changtang. Notre quart d’année himalayen touche à sa fin, déjà.
Depuis Manali, il nous a fallu deux jours de cahotement dans les bus trop amortis par le temps pour monter à Leh. Il nous en faudra une bonne vingtaine pour redescendre, à pied.
Nous n’avons pas voulu rentrer un avion – trop opposé à l’esprit “slow traveling” de notre voyage. Nous n’avons pas non plus voulu rentrer en bus, ces carcasses de ferrailles crachant leur fumée noire, trop opposé à notre exécration des transports motorisés.
Nous avons décidé de marcher. De Rumste à Kibber, avec notre ami Rigzin pour nous guider et nos nouveaux amis, Dorje, Lobsang, et Swambu respectivement aide de camp, cuisto, et horseman chargé du bât de nos 8 chevaux.

Tout commence, ici, à Rumtse, un piolet à la main pour creuser les toilettes sèches de notre premier bivouac à 4200m.

Sans doute parce que le passage de six cols qui nous attendent à plus de 5000m ne semble pas une gageure à notre troupe, elle a choisi un emplacement semé d’embûches ou plutôt qui fut semé d’un orge fraîchement moissonné et dont les restes d’épis disséminés un peu partout rentraient dans nos chaussures. Il m’aura fallu atteindre le Tso Moriri pour enfin réussi à me débarrasser des dernières épines qui venaient s’enfoncer dans mes pieds sans crier gare.

Sur notre gauche, des chörtens1 millénaires dessinaient les créneaux d’un mur de garde de la foi bouddhiste qui s’étendait vers le Tibet, à quelques dizaines de kilomètres de là. Le soleil de fin de journée rendait éclatant ces artefacts recouverts de chaux mais peinait à masquer leur érosion. De points de repères culturels, nous n’en croiserons plus beaucoup jusqu’à l’arrivée de notre marche.

Rumtse

Quant aux points de repère géographiques, nous n’en aurons pas plus pour guider nos premiers pas. Au passage des cols, il faudra nous retourner pour apercevoir une curiosité : un sommet enneigé dépassant de ces géantes aspérités de croûte terrestre à vif. Le Kang Yatse. 6400m. La nuit le manche de la grande-ourse, seule constellation que je suis fichue de repérer, pointe son sommet. Si l’on se perd, car notre guide n’a jamais relié Rumtse à Kibber, nous pourrons toujours faire demi-tour en direction de ce sommet.

Notre sommet du berger, le Kang Yatse

Ainsi, nos premiers pas furent incertains, si au départ nous suivions la Leh-Manali (very) Highway et deux bike-packer occidentaux, il nous fallait vite bifurquer pour nous enfoncer dans encore plus de wilderness4. Mais Rigzin ne savait pas vraiment où. Un homme passa par là et nous indiqua le chemin. Il fallait traverser une petite rivière et, comme avoir des épis d’orges entre les doigts de pieds ne suffisait pas, mon pied glissa sur un rocher aplani par le courant et termina sa course dans l’eau glacée. Un peu d’eau dans mes chaussures fertiliserait sans doute ces jardinières qui étaient jusqu’alors plus accoutumées aux champignons qu’aux céréales.

Descendus d’un petit col, on se croyait marcher entourés de dunes gigantesques d’où s’écoulaient des sables aux coloris allant des plus classiques jusqu’au mauve aubergine et au vert malachite. Il ne s’agissait pas vraiment de sable plutôt de pierres mais les proportions gigantesques de cet environnement miniaturisait tout ce qui s’y trouvait.
Comme aux abords de dunes, la salinité était étonnamment présente. Partout autour de nous, du sel blanc comme neige recouvrait les touffes d’herbes xérophyles2. Suaves, elles amortissaient nos pas et leurs bruissements qui auraient pu éveiller l’attention d’un loup.
Nous le suivions de près. Des aigles royals tournoyaient dans le ciel dans l’attente de ces restes. Son territoire était marqué, des traces de sable frénétiquement grattées en attestait. Si les Hommes n’avaient réussi à se mettre d’accord sur un rédempteur commun, les bergers de toute l’humanité étaient, eux, parvenus à définir leur ennemi à tous. Ici comme ailleurs le loup était traqué et toujours d’atroce façon. Sur le bord de notre chemin, un immense trou avait été creusé, plusieurs mètres de haut sur plusieurs de large. Ses paroies déversantes étaient maçonnées de pierres. Au fond, une carcasse de kiang, cheval sauvage tibétain, appât jeté là pour ameuter les carnassiers. Ainsi piégés, ils devenaient la cible des berges les lapidant jusqu’à la mort, eux qui n’avaient comme seul tort celui de vouloir survivre à leur condition de prédateur.

Une autre espèce de canidé, domestique cette fois ci, nous suivait depuis le début de notre marche. Cette nuit j’avais vu ses pupilles se refléter dans ma frontale. Contrairement à Sonam-jimmy et à Gyaser, rencontrés sur les rives de différents lac et à qui j’avais rapidement trouvé un sobriquet, je ne pris pas la peine d’en trouver à cette chienne. Je ne pensais pas qu’elle nous suivrait plusieurs jours, campant avec nous, me suivant partout, m’attendant à la sortie de ma tente et même sur le perron de celle qui abritait le trou de nos toilettes sèches, jusqu’à ce qu’un matin elle prenne le chemin du retour.
Moi qui m’attache instantanément à ces animaux, j’étais ravie de l’avoir à mes côtés, sauf quand elle se mettait à courir après les bharals3 les faisant fuir au plus haut de la montagne. Elle revenait toujours la langue pendante, mais le pas altier, de sa chasse futile.

La copine

Par respect, sans doute, elle ne fit pas fuir le kiang, notre premier kiang, qui surveillait de loin la caravane qui était la nôtre qui s’installait sur son territoire. Ces bêtes à l’allure préhistorique ne fuyait jamais devant ce qui aurait pu paraître une menace, nous les hommes. Au contraire, ils grognaient avec autorité pour indiquer leur présence et partaient tête haute une fois lassés.

Et au milieu, Le Kiang

Kiang, bharal et même pika (petite bête entre le lapin et le rongeur), notre première journée de mise en jambe et d’acclimatation nous avait présenté avec tout le respect qui se doit aux discrets habitants du coin.

 

 

Notes : 

chörtens1 monuments bouddhistes abritant reliques et offrandes
xérophyles2 organisme vivant dans des milieux très pauvres en eau
bharals3 ruminant himalayen pouvant s’apparenter aux bouquetins par chez nous
wilderness4 notions intraduisible en Français ou peut être par « nature sauvage »

2 commentaires pour “J’irais au Spiti en suivant la trace des Kiang – intro

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