Jeudi soir, apéro-conférence chez mes voisins de bureau, dans l’entreprise dont le fondateur qui clame dans ses écrits “Let my people go surfing “ me fait bien rêver moi qui ai du mal à supporter les longues journées face à un écran avec pour seuls efforts quelques micro-mouvements du poignet sur un touchpad quand mes doigts voudraient arquer à bout de force sur des réglettes. Bienvenue chez Patagonia Europe.
Au programme de la soirée: à boire et à manger, bière bio locale, houmous et tsatsiki fait maison mais surtout deux grimpeurs venus raconter leurs expéditions à quelques centaines de kilomètres de là, en Ecosse, ou à des milliers, au Tibet, mais surtout venus insister sur ce qui fait que la montagne est belle et qu’elle n’a pas forcément besoin d’une GoPro dernier cri sur le casque pour le prouver, bref éthiques les grimpeurs.
Leur style à eux c’est la classe, forcément quand on est équipé par Patagonia, mais je veux parler de leur style de grimpe dit “Style Alpin” : ne pas laisser le moindre équipement sur la montagne, laissez l’environnement vierge et sauvage pour les prochains. Leur style de vie : mon rêve, se lever et se coucher au rythme du soleil en phase avec notre biologie, se nourrir du nécessaire et se goinfrer d’amitiés de cordées.
Soirée fascinante donc mais dans un contexte aliénant, au coeur d’une capitale européenne ultra-urbanisée, où n’importe quelle tâche du quotidien nous est ultra-facilitée, dans un headquarter entouré d’ordinateurs, les bureaux de Facebook deux étages plus haut, à rêver d’une nuit en bivouac après une harassante journée de marche, de grimpe et de marche encore.
La montagne est bien loin d’ici, d’autant qu’ici, dans les salles de grimpe, rien ne permet de retrouver les sensations d’équilibristes des rochers, les moulinettes sont placées, le noeuds de huit un lointain concept (#HeleneAigrieDeLaGrimpeAmstelodamoise).
Mais, depuis une semaine, une échappatoire trottait dans la tête de Romain. La météo était annoncée sibérienne mais elle ne gèlerait pas son projet : prendre les vélos, la train, le ferry, les vélos, pour aller se frotter à la nature néerlandaise sur l’île de Texel.
La première bouffée de grand air salvateur ne fut pas inhalée sur le ferry démesuré qui traversait le Marsdiep, un détroit où se rejoignent Mer du Nord et de Wadden. Je voulais préserver le peu du capital chaleur que j’avais encore de ma nuit sous la couette avant d’affronter une journée de vélo. Je n’étais plus sous ma couette, mais dans ma doudoune qui, une fois enfilée, comme une cape de superman, me transmuait en une sportive de l’extrême. Une sportive de l’extrême en carton, qui n’avait même pas eu le courage de sortir sur le pont du ferry respirer l’air de la mer, trop confortablement installé derrière à la baie vitrée du deck. Entre mon épaisseur de plumes et la banquette verte-pomme du salon-passager, je me suis laissée me rendormir au rythme des vagues levées par le vent, lui qui dicte le déroulement des journées et qui me réveilla de façon brutale par une la claque prise dans la figure lorsque nous avons dévalé la passerelle qui nous donna l’élan pour nous lancer sur la ligne droite qui menait jusqu’à Den Burg. Den Burg, notre escale café, avant de rouler jusqu’au nord de l’île. Pendant huit kilomètres nous avons tenté de nous faire fins, profilés comme les sportifs de haut niveau croisés chez Patagonia, malgré tous les bitterballen ingurgités depuis notre arrivée. Mais imaginer fendre cette masse d’air était vain.
La piste, cyclable évidemment, était on ne peut plus droite, on ne peut plus plate mais pas tellement monotone. Le vent rendait fou, alors lorsqu’on apercevait une grange dans un champ on imaginait une montagne, un terril, un monument antique. Les granges sont à Texel ce que les Khéops, Khéphren et Mykérinos, sont à Gizeh, leur gigantesques toits de chaume pyramidales alignées sur les champs, des champs eux même alignés entre deux routes sans doute elles même alignées avec je-ne-sais-quels-astres.
Aucun cadastre n’était laissé au hasard, les néerlandais, traumatisées par l’appétit de la mer qui aime venir grignoter leur terre avaient voulu rationaliser leur usage de l’intérieur des terres en leur imposant une géométrie toute humaine.
Les villages quant à eux n’avaient rien de petits New York quadrillés. Les ruelles de Den Burg tournicottaient autour d’un centre moyenâgeux. A chaque fois que nous le traversions à vélo, je n’arrivai jamais à me souvenir par où j’étais arrivée et par où il fallait que je reparte. Den Burg et ses quelques milliers d’habitants était la toute relative mégapole d’un tas de sable entouré, grignoté, par les flots.
Den Waal au contraire pourrait accueillir la journée mondiale des déficients en sens de l’orientation, sa rue unique en arc de cercle ne pouvait perdre que les gens de passage rendus fous par son charme, ou par le vent. On s’y voyait bien, Romain et moi, habiter au calme dans une de ses magnifiques petites maisons mais pour l’heure il fallait poursuivre notre randonnée, rejoindre Oosterend par le Oosterenderweg qui comme son nom l’indique menait à l’Est pour remonter la côte jusqu’à la Vuurtoren, le phare, de Texel.
Mais le vent venait de l’est et visiblement il était pressé d’aller frapper les villages touristiques de la côte ouest (il avait raison leur attrape-touristes méritent bien un coup de ménage), et n’avait que faire que nous soyons dans son chemin.
Il portait à nos narines des odeurs de purins toutes campagnardes, si bien que nous pensions que jamais nous n’atteindrions la côte. Mais sortant d’Oosterend, l’odeur de moule se mélangeait à l’odeur de bouse, faisant tilter nos cerveaux : la colline que nous avions face à nous et qui s’étendait sur tout notre champ de vision était en fait l’immense digue qui protégeait cette île polder. Protégée de sa vue, un spectacle auquel nous ne nous attendions pas.
La mer était étrange. On avait l’impression de l’écume était figée. Or l’écume, bien souvent on la ressasse, et ressasse encore, mais sur la mer, jamais elle ne se fige, impossible avec ce vent, la mer semblait gelée. Non, elle ne semblait pas gelée, elle était gelée! Pour nous en assurer nous descendîmes de notre selle et de la pente de béton qui plongeaient dans la Wadden. C’était bien ça, une banquette (c’est ainsi qu’on appelle les petites banquises non ?) s’était formée sur la mer et nous allions la longuer jusqu’à ce qu’elle laisse place à un sanctuaire pour oiseaux marins, une aire de repos pour véritables grand-voyageurs qui, contrairement aux hérons d’Amsterdam, n’ont pas arrêté de migrer vers l’Afrique pour se gaver de la nourriture qu’ils trouvent facilement dans les poubelles du marché de De Pijp.
Seuls depuis que nous avons quitté Den Burg, au septentrion de l’île, nous retrouvons les promeneurs assis sur les bancs des cafés en bordure de ce parc national mais ne trouvons pas les bancs de phoques que nous espérons observer.
Du haut du phare, nous ne distinguerons rien d’autres que des familles bravant le vent sur la plage et des bancs de sable mouvants dans les airs. Le soleil, la lumière est belle autant qu’elle baisse, nous devons retourner à Den Burg pour y trouver notre gîte.
Sur le chemin, nous rechargeons nos calories à De Cockdorp sous la véranda d’un café-restaurant où la musique “dansing” – prononcer Dent-seen-igue” – appelle désespérément les papis et mamies restés au chaud pour aujourd’hui. Le chocolat chaud – crème de gros – accompagné de sa tarte à la pomme saveur cannelle, comme toujours ici, nous achèvent, mais nous avons le vent dans le dos et la lumière orange d’un soleil partie se coucher pour nous accompagner sur la piste cyclable rectiligne qui mène à Den Burg.
A 21h, pas plus tard, je m’endors sur le canapé de notre gîte après quelques bonnes gorgées de Texel, la bière.
Je n’ai pas rêvé de phoque mais me réveille quand même avec une seule idée en tête, aller à leur recherche sur les plages du Parc National des dunes de Texel. C’est reparti pour quelques kilomètres à vélo, contre le vent, encore, en ligne droite encore. Nous garons les vélos derrière une digue, naturelle cette fois, une dune protégée par l’UNESCO. Pas question de traverser en ligne droite pour rejoindre la mer, ça change. Les quelques kilomètres entre cette dune et le littoral sont creusés de petits étangs salins naturels dont la quantité et la forme évolue selon les saisons mais qui accueillent toujours avec générosité des migrants du monde entier qui, eux, ne se font pas plumer sur la route. Ainsi des gardes-fous discrets protègent les oiseaux et nous obligent à bien des circonvolutions entre les ruisseaux creusés dans le sable.
Nous abandonnerons l’idée de toucher la mer lorsque nos estomacs s’inquiéterons de l’heure et de la longue marche de retour avant de retrouver nos vélos pour peut être trouver un snack sur le chemin du port.
Longeant cette dunes nous retrouvons des bêtes et des façons de les élever plus montagnardes qu’on ne l’aurait imaginé. Un troupeau de chèvres nous surplombe à flanc de dune, suivi par leur bergère, sous le regard du Coley restait au bord de la piste cyclable. Cet Ecossais est comme chez lui ici, les vaches à frange de son pays traînent dans les parages, rousses ou noiraudes. Sous leur regard inquisiteur, nous poursuivons notre record de dénivelé, usons de notre guidon pour prendre les virages qui évitent les plus hautes bosses de sable. L’horizon est moins désolé que sur la côte Est, des pins ont réussi à pousser en communauté et à créer une forêt. La forêt clairsemée la platitude reprend ses droits, le vent ses aises et pour seul horizon des falaises d’aciers, des ferry qui attendent les promeneurs en partance pour Den Helder.
merci pour cette visite virtuelle ………..et glacée !
allez courage, le printemps arrive !!
Textes et photos qui donnent envie comme d’hab, même si je sens poindre une petite frustration sur là distance qui vous sépare de la montagne?… 😉
C’est un autre monde qui m’a l’air tout aussi beau!
A très bientôt !