[Pangong Tso] 14 juillet – prise de la gompa

Contexte:

Partie du récit d’un voyage de trois mois en Himalayas dans la région du Ladakh, administrativement indienne, géographiquement et culturellement Tibétaine. Depuis quelques jours nous sommes arrivés dans le village de Merak, dans le Changtang, au bord du Pangong Tso où nous prévoyons de passer un mois à vivre avec la famille d’un médecin traditionnel Tibétain que nous appellerons en conséquence “Amchi Le”.

Réveil en puja

Jeudi 14 juillet. Nous sommes posés dans notre cocon en haute altitude depuis quelques jours et pour la première fois la nuit fut sans insomnie.

Depuis notre chambre nous pouvions entendre les prières chantées diffusées par une vielle chaine hi-fi dans la cuisine où Amchi-lé venait de terminer l’une de ses séances de méditation quotidienne.

Des voix de nones infantiles qui nous attirèrent dans la cuisine pour un petit-déjeuné mélodieux plongé dans le boudhisme Tibétain.

Les tongs déchaussées à l’entrée de cette cuisne, nous cheminions nus pieds sur les tapis de laines épaisses, tsukdan, pour prendre place derrière la choktse1 sur laquelle se déversaient les rayons du soleil pour nous réveiller en douceur.

Le contenu de notre thali2 matinal était rarement local. Trop habitués à faire plaisir aux touristes de passage, il se remplissait de mets généralement appréciés d’un grand nombre de nationnalité: omelette, chapati. Seul le ketchup avait un goût de là bas :  pimenté.

Parfois, Amchi Le et Tashi Dolma nous proposaient une assiette de kolak, de la farine d’orge grillé, rendue moins volatile par l’ajout du beurre. Beurre qui parfois, comme les puja3, rythmait nos réveils. Mémé Le, notre grand-père adoré, passait des heures à baratter de la crème issue du lait de nos vachettes maigrichonnes. Assis au soleil contre la maison il remuait énergiquement, frénétiquement, le substrat contenu dans un bidon en plastique, imitant le son d’une machine à laver.

 

Kolak et oeufs brouillés

 

Les pabus dansantes

Le petit déjeuné était parfois l’occasion de faire connaissance avec les voisines venues papoter avec Tashi Dolma ou de découvrir des objets originaux.

C’était le cas des pabu d’Amchi Le que, ce matin, il vint nous montrer, bottines traditionnelles de peau et laine feutrée au motif de tapis Tibétain. La pointe courbée en direction du sommet du Pangong Kangri donnait un air de lutin à notre médecin de montagne.

Nous l’avions compris dès notre arrivée, la passion d’Amchi Lé était la danse traditionnelle. Pour rien au monde il ne ratait ses répétitions avec les autres danseurs du village, parfois il se rendait dans le village voisin, Man, à une bonne heure de marche. Ainsi, une soirée étoilée sur deux, il se rendait, le regard malicieux au community hall. Ce regard accompagné d’un sourire pantois était celui d’un homme libéré, pleinement heureux. Sourire qui mériterait sa place au patrimoine mondial de l’Unesco, tant il est en voie de disparition.

 

La matinée était sur le thème du partage, après les “dancing shoes” et les quelques pas de danse d’Amchi Le, plus au calme, Tashi Dolma décrocha quelques photos du pilier de bois sculpté situé au centre de la cuisine. Aussi fière qu’Amchi et ses “dancing shoes” elle nous dévoila de nouveaux visages de sa famille : la plus jeune de ses filles, et la première de ses petites filles : bébé Kuntsal, Alors, je sorti le petit carnet dans lequel j’avais scotché des photos de chez moi, de ma famille, de mes sorties escalades sur les belles falaises de France.

Prise de la gompa – journée de pujas au monastère

A 11h, ce 14 juillet, était donnée le “go” pour le départ au gompa, au monastère. Amchi Le s’endimancha d’une veste en tweed alors que Meme-Le conserva sa vieille goretex poussiéreuse. Avant de partir, Amchi nous remis à chacun un mala de bois, chapelet, que nous aurions à égrener durant la puja. Le gompa était perché sur une colline dont l’ascension puisa au fond de mes poumons l’oxygène que mes bronches encombrées voulaient bien faire passer.

 

 

La “puja”, la prière, avait déjà commencé, les psalmodies monocordes ronronnaient déjà dans un brouhaha méditatifs. Anarchiquement, chacun récitait sa version du mantra4 sacré de la Grande Compassion “Om Mani Padme Hum”.

Le rythme était donné par les circonvolutions des moulins à prières que de nombreux adeptes, jeunes ou vieux, jeunes ou vieilles avaient apporté.

Avalokiteshvara, bodhisatva5 de la compassion, de ses milles bras déployés présidait la séance et surveillait notre apprentissage de la version longue du mantra. En effet, à peine assis dans le temple, une jeune femme aux cheveux de jais et au regard sérieux nous incita à répéter frénétiquement ces syllabes rayonnantes. Nous tentions de ne pas nous faire remarquer, même si notre présence semblait tout à fait banale. Seuls quelques enfants au regard emplie de facétie s’amusaient de notre présence. Ainsi, ces bonhommes aux joues rebondies et aux sourires qui bridait d’autant plus leurs yeux, jouaient à se cacher des nôtres, rigolant à chaque fois qu’ils pouvaient les croiser. Autonomes, ils allaient et venaient dans et hors les murs du gompa. Les plus grands, du haut de leur cinq ans, en profitaient pour apprendre aux plus petits à marcher. Et, de ce chahut, personne ne se plaignait.

L’intendance était assurée par des villageoises. Dans la cours du monastère se trouvaient de grands chaudrons et quelques casseroles, de quoi faire mijoter le repas pour tout le village et rassasier les assoiffés de thé au beurre rance durant toute la cérémonie. Chacun avait transporté, au fond de sa goncha, sa tasse. De bois, de porcelaine ou de métal elles n’avaient jamais le temps d’être vidées que le liquide grisâtre y était de nouveau versé par les sus-citées préposées.

Tout en donnant le ton, le moine fabriquait des tormas, monticules de beurre et de tsampa, à destination sacrificielle des statues divines.

Reproduction d’une peinture murale présente dans un monastère

 

Le clan des “abi”, des mamies, se trouvant face à nous avait, semble-t-il, renoncé à trouver l’Eveil. Elles devaient s’être rendues à l’évidence, qu’ici, elles ne trouveraient que le sommeil. Je m’amusais tant de voir ces attachantes mamies s’endormir. La rotation de leur moulin à prière ralentissait. Leur tête tombait sur le côté. Le manche du moulin déclinait. Ce dernier mouvement entraînait instantanément leur réveil. Elles relançaient alors la machine comme si leur vie en dépendait pour se rendormir quelques minutes plus tard.

 

Le fumé des encens piquait mes yeux et ma gorge encore irritée. Je voulais disposer mais voilà qu’une assiette de kolak et d’épinards fut posée à nos pieds. “Invités d’honneur”, nous étions les premiers, et les seuls, servis. Nous ne savions si nous pouvions entamer le repas ou s’il fallait attendre. Les regards étaient braqués sur nous. Amchi Le, entre deux prières, nous fit signe de laisser aller notre gourmandise (si tant est qu’on puisse être gourmand de tsampa et d’épinards). Il n’y avait bien sur pas de couverts. Pour manger il fallait se modeler une cuillère avec la pâte que formait la kolak et supporter le regard des dévots qui venait de se trouver une nouvelle attraction.

 

Mais rapidement ils se concentrèrent de nouveau sur les paroles du moine. Il sorti ses bandelettes de prière, comme pour panser la souffrance du monde. Il en récita les écrits. Les tambourins résonnaient entre ses paroles. La cloche tintinnabulait alors qu’il manipulait son dorje, objet rituel symbole masculin opposé à la cloque féminine. Une plume de pan sortie d’un pot  en métal finement ciselé arrosait les tormas et ritualisait la fin de cette cérémonie.  

 

Une famille de Leh, la grande ville Leh, la ville des gens “moderne”, des gens “riches, débarqua en grande pompe accoutrée comme à la ville. Elle fit le tour des thangkas6, représentation délicatement peinte des boudhas, y déposa nombreux billets et repartie comme elle était arrivée, après quelques prosternations tout de même.

Nous les suivâmes de près tant nous n’en pouvions plus d’être assis en tailleurs à même le parquet. Dehors les enfants, aussi impatients que nous, attendaient leurs parents et étaient ravis qu’enfin nous sortions. Ils se jetèrent sur nous, nous posant des questions que nous ne comprenions pas et éclatant de rire à chaque mot qui sortait de nos bouches.

Enfin notre cicérone sorti du temple et nous pouvions rentrer retrouver Mémé Le et Tashi Dolma à la maison avant que la pluie n’arrive.

 

Notes :
choktse1 : petites tables que l’on trouve dans les maisons tibétaines.
thali2 : grandes assiettes compartimentées en métal
puja3 : cérémonie de prière
mantra4 : prière
bodhisatva5 : personnes ayant atteind l’Eveil mais ayant refusé de devenir un boudha préférant se réincarner pour pouvoir aider les êtres dans leur recherche de la cessation de la souffrance
thangkas6
: peintures Tibétaines

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *