Huis clos dans un bus direction le Pangong Tso

Cela fait presque dix jours que nous sommes arrivés en Inde, quelques jours que nous sommes dans une autre Inde, une autre sphère culturelle, celle du Tibet : le Ladakh. Nous avons délaissé Rama, Krisha et autres seigneurs multi-bras pour retrouver Padmasambava, Avalokitechvara, et tous les bodhisattva.

A Leh, si nous nous sommes correctement acclimatés aux hauteurs Himalayennes, nous sommes rendus compte d’à quel point le Ladakh était tiré vers le bas, vers les peuples des plaines indo-gangétique tentant de s’adapter comme ils peuvent à leurs us et coutumes.

Leh, centre caravanier Asie Centrale est devenu hub touristique, carrefour de milliers de motards indiens qui y débarquent avec leurs nuisances sonores, atmosphériques et (pire?) leurs exigences.

Ces motards en quête de photos sur fond de paysages bollywoodesques, nous allons les suivre pour nous rendre au Changtang, région frontalière avec le Tibet dans laquelle nous prévoyons de passer un petit mois auprès d’une famille changtangpa1

Le grand départ
Le jour du grand départ, il est 6h quand Rigzin et Gonbo, des amis Ladakhis, nous déposent à la “New bus station” parking terreux duquel s’élève la poussière sur le passage des chiens errants.
Nous sommes loin de Manali  et de son agitation, les voyageurs arrivent au compte-goutte. Quelques bus (ou tas de ferraille) sont garés mais aucun signe d’un quelconque chauffeur en partance pour le territoire du Nord, le Changtang, et son lac star le Pangong Tso.

Nous l’attendrons jusqu’à 6h30, heure du départ, heure du début du chargement du bus en réalité. La plupart des passagers feront l’aller-retour sur deux ou trois jour, juste pour voir le lieu de tournage de leur film favori « Three idiots », mais leurs bagages sont volumineux, presque autant que les nôtres. Quarantes “Ké dji”, kg, à caser dans ce bus sans soute et dans lequel l’espace entre les sièges ne permet même pas de caler mes fémurs à peine plus long que ceux des Ladakhis. Même si nous rechignions à effectuer le moindre effort en ce début de séjour en altitude nous devrons tout de même les monter sur le toit, un carton de légumes en supplément bagage. Car, là où nous allons, à Merak, dans le désert, manger varié est un luxe importé de la ville commerçante la plus proche : Leh, celle d’où nous partons. Sur place l’autosuffisance est encore reine malgré la livraison par le gouvernement indien de sacs de riz, subsides à destination des membres des Scheduled Tribes2 les plus “pauvres”. Les quelques épinards du potager, pommes de terre et la farine d’orge y constitue là bas la base des repas.

Le trajet promet d’être long et animé.

Devant nous, de jeunes mariés bengalis se sont installés, ils ne cesseront de se chamailler. 
A l’avant, le spectacle de la bêtise de l’ego humain est grandiose!
L’actrice principale :  une cinquantenaire occidentale se la jouant jeune et cool.
En figurants :  ses copines qui auraient sans doute aimé se cacher sous leur tapis de yoga,  le chauffeur qui ne leur fera aucun cadeau et une victime qui n’avait rien demandée.
Le scénario de la farce : un scandale dont elle se déclare victime.
Alors que le bus se remplit, un homme indien prend la place 1. La plus à l’avant. Celle noté sur son ticket, celle qu’il a réservé. Pourtant, la hippie, qui se déclame malade en bus, exige cette place. Visiblement elle n’en était qu’aux balbutiements de ses cours de yoga et de méditations, la voilà qui s’énerve toute seule, monte le ton face à une victime abasourdie. Dans un anglais d’autant plus approximatif que sa colère lui empêche toute réflexion, elle conclut ses vocalises sur un grotesque “You have no respect for people”.

Mais le chauffeur, fatigué par ses jérémiades s’en mêle. Il soulagera l’aigrie en lui apprenant qu’il refuse de la transporter et qu’il la déposera au prochain checkpoint sans avoir atteint la moindre route de montagne. Sa faute, si ce n’est sa capacité à agacer ?  Elle et ses copines ne s’étaient pas enquis des modalités d’accès à cette région frontalière et n’avait donc pas le permis nécessaire.

 

J’ai pas le permis

Car pour se rendre au Changtang dans cette région frontalière avec le Tibet un permis doit être délivré par les autorités. Maximum 7 jours , non renouvelable.
“Non renouvelable”, voilà une contrainte que notre agent local nous avait promis de régler facilement. Il ne nous avait pas dit que facilement ne rimait pas avec “honnêtement”.

Lors de la préparation de notre voyage il nous avait toujours affirmé qu’on pourrait se débrouiller pour obtenir un permis plus long ou un renouvellement : “no problem, no stress” comme on dit là bas. De toute façon, l’obtention du permis se faisant forcément par le biais d’une agence locale nous n’avions aucun moyen de le vérifier. Mais la veille du départ, quand son assistant nous présenta nos permis, ils n’étaient valables que pour 7 jours alors que nous avions prévu d’y rester trois semaines. Dubitatifs, nous essayâmes de comprendre quelle solution serait mise en oeuvre pour nous obtenir les permis. La réponse fut d’un concret tout indien : “He’ll manage*”.

En fin de compte, son subterfuge fut de nous fabriquer un faux permis avec logiciel de retouche photo. Ainsi nous avions un permis valide 7 jours (avec une erreur grossière sur le nom de famille de Romain), 7 autres jours de clandestinité où nous devions éviter de nous faire contrôler et 7 jours avec un permis falsifié (de fausses dates saisies dans une police plus grosse que le reste du document) de sorte que nous puissions passer les checkpoints à notre retour.

Nous étions en colère d’apprendre la veille de notre départ que nous ne possédions pas de permis valable et de devoir prendre une décision : prendre le risque ? ne pas le prendre et changer rapidement nos plans?  Et si nous nous faisions prendre, et si nous nous faisions expulser d’Inde à tout jamais ?
C’est tout l’esprit de notre voyage que nous avions souhaité une immersion dans une famille qui était remise en cause. Notre décision fut de partir pour les septs premiers jours et de juger de la qualité des contrôles et des risques une fois sur place.

 
Le premier checkpoint fut une caricature de la bureaucratie indienne : un moustachu au ton et au regard sévère, enfermé dans son bureau de béton, passant ses journées à recopier à la main des numéros de passeport, visa et permis dans un registre faisant penser à un livre d’or.

Le second checkpoint : une blague. Aucune force de l’ordre pour forcer les véhicules à s’enregistrer et un agglutinement de voyageurs autours d’un agent de l’immigration remplissant anarchiquement un autre registre. Notre chauffeur réussi donc très facilement à faire passer en fraude une autre passagère qui n’avait pas réussi à obtenir de permis… nous étions donc rassurés.

 

Notre première semaine à Merak fut sans surprise, loin des forces de l’ordres et nous décidâmes de rester jusqu’au bout, dans la clandestinité.
Mais nos sept jours sans permis ne furent pas sans montée d’adrénaline.

Un matin, une voiture de police était garée devant la maison de notre hôte et nous obligea à rester enfermés, sans faire un bruit dans notre chambre. Nos regards en disaient long sur notre sentiment d’avoir pris la mauvaise décision et sur le crainte que l’aventure s’arrête là. Mais les policiers repartirent, sans nous avoir vu, sans que l’on sache pourquoi ils étaient passés.

 

Un autre jour, alors que nous randonnions près d’une piste, le bruit d’un moteur de camion retenu notre attention… et notre souffle. Il s’agissait d’un camion de l’armé indienne. Le passager avant nous fit de grand signes et nous nous sentîmes obligé de faire demi-tour avec nos plus grands sourires hypocrites et amicaux. Il faisait très chaud mais ce n’est pas le soleil qui faisait couler des gouttes de sueur sur notre front, ni les 4400m d’altitude qui faisaient se nouer nos gosiers.

Nous craignions d’avoir marché dans un espace frontalier restreint et d’écoper d’un contrôle de papier tout à fait inopportun. Lorsque nous arrivâmes à la hauteur du camion, le passager nous parla mais son fort accent et les perturbations mentales que le stress avait engendré nous empêchait de comprendre ses paroles. Fronçant les sourcils, il s’escrima alors à essayer d’ouvrir la portière. Son regard nous inquiéta jusqu’à ce qu’il s’éclaire et qu’un grand sourire adoucisse son visage lorsque la portière fini par céder.

En réalité, ce militaire, étonné de croiser de jeunes étrangers marchant dans ces parages,  voulait simplement nous prendre en stop pour nous déposer à notre destination. L’idée que nous puissions marcher pour le plaisir dans ce désert lui semblant sans doute aussi folle que d’aimer les films d’arts et d’essai au pays de Bolywood.

 

Balade au bord du Pangong

Balade au bord du Pangong

Retour sur la route

Après avoir traversé Leh, Saboo “Model Village” (entendez lotissements en béton inadaptés à la région), Choglamsar (siège de  l’une des résidences de sa sainteté le Dalai Lama), après être passés sous le monastère de Tiksey nous atteignons Karu, premier checkpoint.

Tiksey

Tiksey

 

Nos permis et ceux des autres passagers validés nous pouvons remonter dans le bus pour une longue journée. Notre première étape est le col de Chang La, dit le deuxième plus haut col routier du monde avec ses 5300m.
A voir les lacets tracés sur notre carte pour y accéder,  j’avais cru bon d’avaler deux cachets contre le mal des transports mais ajouté à une vilaine angine, je me suis transformée en un légume à peine capable de tenir droite dans son siège.
Un légume émerveillé de découvrir qu’il n’était pas encore blasé des monastères lors qu’il découvrit celui de Chemrey, construit à partir de 1664 par les moines aux bonnets rouges.

Sa vallée verdoyante qui en nourrissait la sanga3 était la dernière que nous verrons avant notre retour. La verdure et les arbres : voilà les deux choses qui nous auront le plus manqué lors de notre séjour au Changtang.

Le monastère de Chemrey

Le monastère de Chemrey

 

Le col était sans doute le deuxième plus haut du monde mais son ascension était peut être la plus ennuyeuse.

La route fut extrêmement monotone et le col n’avait rien de grandiose une fois atteint.  

Il aura fallu plus de 8h, à l’approche du Pangong pour voir le paysage varier.

Les montagnes ocres laissèrent la place à quelques falaises me faisant penser à un gâteau marbré. Après une pause déjeuner décevante constituée de momos au mouton au goût de tripes faisandées, mon estomac réfléchissait à ma place.

Puis d’incroyables étendues de sable fin, gris, entre deux vallons annonçaient l’approche des vestiges de la mer Thétis: le Pangong Tso

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Les cris  d’exaltation du chauffeur et de quelques passagers avertirent ceux qui avaient fini par s’endormir que le Pangong nous faisait face.

Comme est enfants existés, des étoiles dans les yeux, les deux cachemiris4 avec qui nous avons discuté retrouvaient un peu de leur spontanéité. Plus tôt dans la journée ils nous avaient appris que leur région, le Cachemire indien était sous le coup d’un couvre-feu suite à la mort d’un militant séparatiste, star des réseaux sociaux, tué par la police indienne et des manifestations violentes qui ont suivi.

 

Le ciel était encombré. Le lac n’avait pas la couleur turquoise des photos de carte postale mais il n’en était pas moins émouvant d’enfin l’apercevoir.

De l’autre côté, sur l’autre rive : le Tibet. Réaliser cela me donna des frissons et humidifia mes yeux. Pendant plusieurs semaines j’allais me réveiller avec vue sur le Tibet. Ces émotions étaient signes de l’arrivée à Spangmik, terminus du bus car terminus de la route. Début de la démonstration de perches à selfy (#JeSuisTropBeauDevantLePangongTso), d, début d’une piste vers l’Himalaya que seuls les amoureux vont embrasser.

Elle nous mène à Merak, village le plus méridional qui soit autorisé aux étrangers dans cette région rythmée par les revendications territoriales sur lesquelles Chine et Inde ne parviennent à s’accorder . Dorje est le chauffeur missionné par notre hôte pour nous récupérer. En chemin nous prenons en stop le vieux moine, protecteur du temple de Merak puis nous arrêtons à la hauteur de deux couples occidentaux à moto, ils sont français. L’une des filles à l’air exténuée, l’autre essaie de la convaincre de monter dans notre jeep. Ils n’avaient pas prévus cette fin de trajet digne d’un Paris-Dakar, leurs motos s’enfonçant dans le sable. Et après une journée de route les corps n’en pouvaient plus.

Alors qu’en arrivant chez notre hôte elles découvrent une aire de repos salvatrice, nous découvrons la famille avec laquelle nous allons passer plusieurs semaines : celui que nous nommerons “Amchi le” père de famille, médecin traditionnel Tibétain (amchi), Tashi Dolma, sa femme et cuisinière reconnue dans toute la région, Tundup l’un des fils de la famille, technicien du téléscope se trouvant à la sortie du village.

 

Notes :
1changtangpa : Habitants du Changtang. pa = habitants en tibétain.
2Schedule Tribes : tribus indigènes répertoriées dans la constitution indienne
3sanga = communauté des moines boudhites
4cachemiri : habitant du Cashemire, frontalier du Pakistan où reignait cet été de vives tensions après l’assassinat d’un
séparatiste par la police

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