Dystopie des glaces par temps de pandémie

Alerte, alerte! Il fait 1ºC. #Smiley :scream-les-mains-sur-les-joues:
La saison de vélo sur glace qui vient à peine de commencer touche déjà à sa fin.
Bon pour moi, même si c’est sympa pour la photo et l’adrénaline, ce n’est pas vraiment un problème. Je suis ravie d’enfin pouvoir remonter sur selle sans craindre la gamelle et ranger mes chaussures de trekking, seules habilitées à la marche dans le Rembrandt Park jusqu’à mon vendeur de cappuccino préféré.

Oui, je suis devenue une vraie hipster, capable de marcher 45 minutes aller-retour juste pour un cappuccino. Enfin « juste », pas vraiment, il faut dire que les serveurs sont devenus (avec mon gentil dentiste Grec) mes contacts sociaux les plus fréquents et m’offrent un semblant de lien en me permettant de leur parler de la pluie et du beau temps.
3.5€, ça revient cher l’amitié mais en ces temps de confinement, on est prêt à mettre le budget pour finir avec une mousse lactée surmonté d’un petit cœur.
Bref.
Ces balades quotidiennes dans la neige, sous le soleil souvent, engoncés dans nos vêtements les plus chauds et dans les rires des enfants traînés sur les luges par leurs parents eux-mêmes riant de les voir tomber (souvent de leur faute), sont bientôt terminées. 5 minutes de vélo me suffiront à me rendre à Van Spilbergenstraat, mon ancien quartier, pour y prendre mon café.
La neige sera remplacée par la gadoue, c’est triste. Mais moins triste que de penser à l’éphémérité de la glace qui une fois formée met tout un peuple en émoi.

Cette année, la saison de Natuurijs aura duré 3 jours. La précédente s’était produite il y a trois ans, plus marquée mais toute aussi courte.
De ma tour de contrôle, le 9ème étage où se trouve mon appart, je regardais chaque jour l’avancée de la glace sur les canaux entourant mon immeuble, jusqu’à ce que les précurseurs, téméraires, se lancent sur la glace.
Chaque jours mes collègues et amis néerlandais se renseignaient quant à l’épaisseur de la glace comme on regarde la météo avant d’enfourcher son vélo.
Optimistes, ils posaient des congés de dernière minute pour se permettre de patiner.
Les journaux nationaux publiaient les bons ou mauvais plans, rappelaient les statistiques de blessures mais surtout celles des hivers, de moins en moins nombreux, où les champions de patins peuvent s’élancer pour des marathons glaciers.
Les rubriques « bien-être » des médias nous répètent toujours, non sans dissonance, qu’il fait être « mindful », dans l’instant, profiter du présent. Et bien, pour comprendre le principe, il suffit de vivre aux Pays-Bas où le passage furtif de l’eau à l’état solide se chargera de mettre tout un pays sur la même base temporelle, ne pensant plus qu’à se jeter sur les lacs et canaux, là maintenant, sans se projeter aux lendemains douloureux lorsque les chevilles seront inflammées, les fessiers tiraillés mais qu’il faudra retourner bosser.
Temporellement alignés donc, mais sur la même longueur d’onde sonore aussi avec la glace noire comme diapason.

Qui n’a jamais patiné sur une large étendue d’eau naturelle, ne comprendra jamais que la recherche du plaisir est aussi auditive. Je ne parle pas des « scratch scratch » des patins poussant maladroitement sur la glace mais un son inédit, indescriptible. Une ondulation de la glace qu’on n’entend peut-être au quotidien si on habite Neptune mais rarement ou jamais si on est Européen du Sud.

Le son de la glace noire, espèce d’hybride entre lasso laser lancé dans les airs et une longue corde qui casserait à l’accordage.

Allez, vous êtes curieux alors je vous invite à écouter ce son ici.

A Amsterdam ce samedi matin, le son n’était pas aussi cristallin. Il était couvert par les rires, les crosses de hockey qui s’entrechoqueaint, les parents tirant encore et toujours leurs enfants fainéants sur une luge, mais surtout par les rires et les cris joyeux choses devenues presque interdites à une époque où partager le même air à mis le monde dans un état proche de l’apocalypse.

Romain téméraire et invincible face au froid sec, était parti rejoindre son ami Thijs (à prononcer « Taille-ce »pas « Ti-jesss ») du côté de Loosdrecht où les étendues lacustres de près de 10km de long (une flaque comparée au Pangong Tso certes) appelaient les patineurs telles des sirènes frigides.

Là bas, il a vécu l’ivresse de la glisse sur un lac qui lui semblait s’étendre à l’infini.

Quant à moi, je suis partie en vélo ayant en tête un tour complet d’Amsterdam à la recherche des plus noires glaces, les patins dans un sac à rempli d’affaires de rechange soigneusement placés (roulés en boule à la vas-vite) dans des sacs imperméables, juste au cas où.

Il faisait très froid à Amsterdam, mais je savais que je pourrais toujours y trouver une boisson chaude pour me réchauffer.

Je voulais commencer ma journée par un peu de nature, alors direction Amsterdamse Bos « la forêt d’Amsterdam ».

Arrivée côté Nieuwe Meer, je me suis sentie seule au monde, avec mes « wickets », ces vaches croisées avec des Ewoks #borninthe80s, face au lac sur les pistes glacées, les sentiers enneigés où l’on aurait pu sortir les raquettes.

Un contraste marqué avec ce qui m’attendait, mais ça j’étais encore loin de l’imaginer.

Après avoir contourné le lac, c’est choquée que je suis arrivée à l’orée du bois. Sur le canal servant habituellement à l’aviron, semblait grouiller tout Amsterdam. La police avait bloqué l’accès au parking déjà plein à 10h du matin, jamais je n’y avais vu autant de vélos garés. Les gens s’entassaient, des bébés aux retraités, pour enfiler leurs patins au bord d’une glace qui avait déjà craquée. Le plus grand risque du jour était de passer de la terre à la glace sans la briser. Une fois sur son épaisse lame soutenue par l’eau la magie des forces de poussée permettait de patiner sans risque.

Un, deux, trois, c’était partie. J’avais posé mes lames sur la glace et sans y croire encore je me mettais à glisser sur une grande étendue d’eau gelée où je me sentais à la fois seule, libre et entourée de gens qui partageaient l’euphorie qui me prenait.

J’ai longtemps aimé le roller et la sensation de glisse procurée, mais j’ai aussi toujours été bloquée par la danger : la route, la chute bête sur du béton, les piétons.

Là, pour la première fois, je pouvais pousser sur les jambes sans aucune crainte, évitant facilement les autres patineurs qui finalement, étaient répartis très loin les uns des autres.

Cette glace, dont la couleur sombre est recherchée des experts pour sa souplesse et la fluidité de la glisse qu’elle permet, m’a emporté.

Durant des heures j’ai enchaîné les aller-retours, les pauses au milieu de tout ça : pour resserrer les lacets des mes patins dont le cuir bien quélégant n’était pas des plus facilitant pour les débutants, pour contempler le contentement, ou juste pour me reposer… car il faut l’avouer ces fichus patins faisaient atrocement chauffer les mollets.

Cela faisait trois ans que les canaux n’avaient pas gelé, alors les saisons dernières nous nous étions contentés de nous amuser sur la piste de vitesse olympique de 400m : la « Jaap Eden Baan » du nom d’un héros du patinage de vitesse.

Et avec la pandémie, cela faisait plus d’un an que je n’avais pas patiné. Autrement dit, mes chevilles et mollets étaient loin d’être alignés avec mon envie de glisser toute la journée.

Depuis des mois, pour faire du sport, il fallait se stresser devant son écran comme pour réserver une place pour un concert de U2 au Paradiso, alors jamais je n’avais réussi à obtenir un spot à la patinoire.

Alors moi aussi, telle une Dutch, je m’étais mise à scruter les conditions météo et à me réjouir des -15ºC.

Tous les jours, j’allais contrôler les spots avec la plus grande « patinabilité », un mot qui doit exister en Dutch, comme « terrassen » (se poser en terrasse au soleil) ou « barbecue-en » (faire un barbecue dans un parc avec un barbecue dont on se débarrasse à chaque fin d’été #savetheplanet).

Le jeudi, les plus impatients l’avaient payé d’une baignade nordique, brisant la glace évidemment trop fine. Obligeant Romain à tendre une branche puis la main à un patineur gelé mais qui faisait mine que la baignade l’avait juste un poil revigorée.


Et puis le soir, le mirage. En bas de chez moi, gamins et parents s’élançaient sans risque sur un canal.

Alors Romain et moi avons programmé nos réveils, qu’on était prêt à mettre au rebus car très utiles depuis ces dernier mois au court desquels notre trajet dodo-boulot se faisait entre notre chambre et la salle à manger, et avons affûté nos patins pour un réveil sur la glace.

Le soleil se levait à peine que nos chevilles étaient déjà surmenées.

Ce vendredi soir, pas de borrel (l’apéro pro qui clôture les semaines de travail par un instant convivial), mais rendez-vous partout où la glace pouvait soutenir le fardeau d’une population en mal d’animation, sur les douves Erasmus Park ou ailleurs.

Du vendredi au dimanche, nous étions donc sur nos patins. Le weekend s’est achevé pour moi, avec sans doute un petit marathon de patinage dans les jambes, une sieste suivie d’une nuit de 21h30 à 8h bien mérité.
D’après le très sérieux journal Volkskrant, 40 000 personnes avaient fini à l’hôpital ce weekend pour des blessures de patinage ou à des glissades sur la neige durcie par une semaine de piétinement. Cela me parait énorme, mais cela me permet aussi de me remonter moi-même dans mon estime sportive, pas une chute du weekend (alors que Romain en compte au moins deux… bon il prend plus de risques que moi). Lundi matin, c’est le recul des glaces que j’observais non sans mélancolie. Qui sait si un jour nous resortirons les patins sur les canaux d’Amsterdam.

3 commentaires pour “Dystopie des glaces par temps de pandémie

  1. ça me donnerait presque envie de me mettre au patinage …………..^^
    et merci pour la leçon de phonétique du prénom, bien sûr j’avais mal prononcé ………..^^

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