Ariege : grimpeurs de résine à la ville à l’assaut des Pyrénées

27 septembre 2020, 22 heures, dans la nuit déjà noire d’automne, deux marginaux débarquent à Amsterdam. A la marge de part leur accoutrement d’alpinistes ratés de retour d’expé. Mais surtout, à la marge de part le moyen de transport choisi pour parcourir 1300km: le train, ce gouffre de temps et d’argent pour une majorité de nos contemporains, et même pour nous parfois (« flygskam on me! »), qui préfèrent la quasi-immédiateté et le dumping environnemental des raccourcis par le ciel aux voyage lent.

De retour dans cette ville, magnifique, dynamique, où, bien que veg et straight-edge, nous vivons dans une sorte d’ébriété chronique : excités, tenus éveillés à coups de shots de loisirs .

Une ville comme les autres, en fait, qui comble nos petits vides intérieurs comme elle comble l’espace. Par urbanisme bien pensé,  optimisant le parcours des sens dans un espace temps et argent optimisé, cadrié de buildings pour la prospérité, les stimuli ne se retrouvant jamais face à un mur.

De retour de l’Ariège,  région Pyrénéenne environ 1000 fois moins dense, où l’espace n’a été que sommairement modifié, les ours mal léchés débusqués, laissés à la postérité.

Excités, là bas, par le vide, les grands espaces géographiques et psychiques, à devoir contempler plutôt que consommer, créer, s’engager et se bouger!

Durant douze heures de voyage, la géographie s’est aplatie et le ciel s’est rapproché, d’un gris plombant, pour ne plus laisser nos esprits s’échapper de nouveau, s’élever par le vide.

Déjà happé par le tsunami de l’abondance, du loisir et de la vie sociale, sans digue autre qu’une volonté de méditants himalayens pour espérer la contrer.

Un petit choc plus social que culturel de retour d’un court voyage.

 

Nous avions besoin de vide. Qu’il se traduise par un panorama à couper le souffle,  par  du gaz* sur une falaise ou juste par du temps vide, du temps libre le corps et d’esprir disponible.

D’un régime détox, car comme distinguer les bons des mauvais calories on voulait séparer les bons des mauvais stimulis, particulièrement après 6 mois d’hyperconnexion.

L’Ariège où nous avions séjourné deux ans plus tot nous semblait parfait pour ça et parfait pour se retrouver en tete à tete sur ses hautes falaises.

Habiter au Pays-Bas, confinés ou pas, et s’imaginer faire de la grande voie… N’y avait-il que moi, en ancienne voisine de Patagonia, à l’imaginaire abreuvée de visuels d’une sauvagerie démesurée… je veux dire de grands espaces sauvages, qui y croyais ?

La réalité était qu’après plus d’un an sans dénivelé, sans sortir d’un droit et plat chemin, sans anicroche rocailleuses, nous avons atterri un peu trop mous du genoux , le souffle cours dans la vallée de la Courbiére. Les kilomètres avalés en vélo (ou mon régime d’huile de foie de morue) n’y ont rien fait, les rotules étaient mal huilée et, aux abords des nombreuses grottes du coins, nous avions plutôt l’air de magdaléniens trop trapus et mal agiles.

A croire qu’à Amsterdam on avait trop mis les pied dans la plat.

“ Certains jours, on se passerait d’avoir un corps », écrivait Nicolas Bouvier dans son Journal d’Aran”

 

 

Accessible pour une longue balade à pied depuis le creux du village de Rabat, nous avons misé sur les barres rocheuses en pointillé sur notre horizon pour nous préparer aux trés grandes voies : la Roche ronde, le « roc à Steph » le calamés et le roc de Sédour pour réajuster notre gomme, nos mouvements, notre seuil de tolérance aux chaussons et ré-aiguiser notre vision et nos sens pour une lecture instinctive du rocher et une grimpe en fluidité.

 

 

 

Notre projet sur le roc de sédour est parti en fumé, au figuré bien que ce matin là des feux de broussailles se soient déclenchés couvrant toute la vallée d’un nuage de fumée. Arrivés au pied du site un gros panneau « escalade/varrape interdite » nous piquait les yeux. Aprés un coup de fil au PGHM pour essayer d’avoir plus d’info (de nombreux rapport d’ascensions ayant été publié récemment sur notre bible « Camp to Camp »), Romain s’est résolu à aller parler au maire pour tenter d’en savoir plus (le roc est officiellement interdit, Romain a mis à jour Camp to Camp avec l’arrêté municipal correspondant, maintenant comme dit le maire « j’en connais qui grimpent, il font ce qu’ils veulent c’est leur problème »… pas d’interdiction forte et pas plus de risque qu’ailleurs à priori). Nous avons donc du revenir sur nos pas, nous prenant les pieds dans les herbes hautes, les ronces, les rochets bien cachés, une partie de plaisir, pour viser désormais le gros rocher d’a coté et sa tour de gué : le Calamés.

Avec le temps perdu entre les deux falaises, nous avons commencé à grimper aux alentours de midi, transformant la falaise regardant vers l’Espagne en pierrade, le dernier relais étant encaissé dans un dièdre de roches rayonnant des brûlantes ondes caniculaires. Assoiffés nous étions bien contents de sortir sur l’arrête sommitale ouest pour marcher jusqu’`à l’ombre de la ruine du 13e siècle, le vide au Nord, le vide au Sud.
Lors de cette courte traversée nous étions exposés, non pas qu’elle était plus dangereuse qu’une autre, mais elle nous a exposé des portraits peu flatteurs de notre cordée : je ne parle pas pour Romain toujours au taquet, mais de mon cas, devenue grimpeuses de couenne sans endurance, et par couenne je parle du gras de mes poignets d’amours mais surtout de ces voies courtes d’une trentaine de mètres max qui ne nécessitent pas des heures de grimpe et de douleur, de longues marches d’approche escarpées et de redescente.

Pour nos projets de très grandes voies, nous avons donc attendu que mon corps ce soit habitué de nouveau au dénivelé et que  mes petits pieds et gros mollets se soient réhabitués à être les acteurs principaux de l’escalade en falaise, enchaînant les journées passée aux pieds des secteurs de couennes de Sinsat, Auzat, Surbat, Rabat.

Là, bien bas, nul art pariétal dans notre technique de grimpe… plutôt de l’art de brute, de l’art de grosses brutes… des placement de pieds brouillons qui s’affinaient peu à peu mais sans jamais retrouver le plaisir d’antan (satanés ressemeleurs de chausson néerlandais qui les transforme en pantoufles inutilisables, satanés salles d’escalade Amstelodamoises e gorilles qui n’ont pas compris que l’escalade c’est d’abord la pose des pieds…).

Lors de ces sessions j’ai pris conscience qu’on ne pouvait échapper à la vie par l’escalade mais plutôt que notre état d’esprit était à la vie comme à la falaise. Des incertitudes, un manque de confiance passagé était immédiatement révélé par le rocher.

Notre remise en condition physique fut facilitée pour une visite des alentours de Merens, et de ses vasques d’eau chaude sentant le souffre.

Des eaux peut être sources des sulfureuses querelles politiques et de voisinages qui nous ont été comptées par les murs de mairies  flanqués d’affichages  inquisiteurs, la poésie des insultes entre voisins tagués sur les chantiers, par le gérant de la biocoop du coin qui semblait las mais pas passif face aux décisions à contretemps de politiques qui ne servent qu’eux même.

En montagne, il semblerait donc qu’il faille de l’engagement, mais pas seulement pour atteindre des sommets… juste pour faire valoir le bon sens civique et cela, de façon très exposée.

La météo était aussi incertaine que ma forme physique, les sommets du Quié de Sinsat et de la dent d’Orlu se couvraient de nuages et de doutes.

Alors, nous avons marché, randonné pour prendre la hauteur dont nous avions besoin pour  sortir du brouillard de nos questions existentielles d’immigrés.

Mettre un pied devant l’autre, à défaut de les monter délicatement d’aspérité en aspérité semblait à notre portée.

Quelques kilomètres en longueur, une quinzaine tout au plus, parfois deux  de hauteur, pris dans le milieu naturel confrontait l’espace spatial dans lequel se trouvaient nos corps à l’espace temporel dans lequel pensaient se trouver nos esprits.

Seuls comptaient alors nos besoins simples : manger, ne pas avoir mal, ne pas avoir soif, poussés par le désir de voir le monde d’en haut.

De sorte d’entrer dans cet état transcendantale décrit de la sorte par Ralph Waldo Emerson :  « Là, je sens que rien ne peut m’arriver dans la vie, ni disgrâce, ni calamité ».

D’apothéose en apothéose, chaque sommet, chaque plateau élevé révélé des paysages dont on ne peut se lasser comme en haut du pic où, soit disant, les trois seigneurs du coin venait se rencontrer pour échanger.

De là haut, toute fuite en avant aurait été dangereuse  – cela en était peut être la raison de telle ascension moyenageuses, éviter les décisions trop impulsives peut etre.

Alors, du pic nous sommes donc redescendu doucement,  par le plus grand des hasards suivi par une légende du coin Gérard Jalbert, très sympa ouvreur de LA voie de (nos) rêves que nous avions encore un peu d’espoir de grimper le lendemain : 400 m de prise de hauteur.

Nous contant ses « 40 ans de haute montagne », ses ouvertures du mythique Quié de Sinsat, ses anecdotes de grimpe, il eu la cordialité de nous laisser mener la descente, aussi lents étions nous, jusqu’à ce que ses jambes le laisse filer sur une crête enherbée. Un peu le mirage de notre vie rêvée, une vie en parfaite santé à grimper et marcher  sans jamais finir blasés.


Mais les mollets et genoux enfin affûtés, la météo s’est gâtée, le quié s’est embrumée, humidifié, devenant impossible à grimper (pour nous) et voilà même qu’il a commencé à neiger.

Nous avons donc fini par deux journées à grelotter dans notre chalet, trouvant finalement le vide, je ne dirais pas l’ennui, que nous étions venus chercher.
« Ours sans problème* » chassés de leur tanière d’été par le retour à la réalité nous avons quitté la chaîne des Pyrénées uniformément enneigée.

Notes :

  • « ours à problème » : expression utilisée par les biologistes pour désigner les ours se rapprochant trop des troupeaux et humains
  • « gaz » : en grimpe, désigne le vide impressionnant qu’on a sous les pieds

PHOTOS

Gourbit – Boucle par l’étang d’Artax

11km , ~900/1000m +/-, ~5 heures. Topo détaillé ici

 

 

 

 

Pic Des Trois Seigneurs

15,6km, +/- 1400m, ~7h, topos complet ici.

 

Refuge de Bassies par Auzat

15,6km, +/- 1400m, ~7h, topos complet ici.

 

4 commentaires pour “Ariege : grimpeurs de résine à la ville à l’assaut des Pyrénées

  1. je comprends ta déception de ne pas avoir pu grimper, mais les paysages que vous avez arpentés sont splendides !! de quoi vider la tête !!

    • Oui c’est pour ça que la montagne nous manque, au moins on peut toujours se rabattre sur les paysages pour se donner la forme!

  2. C’est un beau périple que vous avez fait.
    Au sens propre comme figuré, la progression de la vie citadine à la vie plus rustique qui vous plaît, et surtout d’un paysage plat à plus relief et de hauteur.

    Les embûches et les coups du sort faisant partie du jeu, je noterai également que vous avez l’air d’avoir bien pu tirer parti de votre situation. Ces photos sont magnifiques. À défaut de pouvoir vous imiter, de prendre de la hauteur en montagne, vous permettez aux autres rêveurs de s’accrocher en attendant que notre heure vienne. Merci pour le partage.

    • Hey Borjan!
      Contente de te voir faire un tour par ce blog… bon mon rabatteur Romain t’as un peu aidé à arriver jusque ici
      Votre heure viendra et j’espère qu’on se retrouvera, toi , Jenny et votre petit(e) « Bor-ny » au pied de rochers bientôt 🙂

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