A l’image de ce mandala de sable, d’une beauté délicate mais impermanent, que s’apprétent à brûler ces moines dans l’un des derniers villages traversés par notre treck, notre séjour à travers le Haut-Mustang allait bientôt se transformer en bribes de souvenirs.
Le vent
Portées par le vent, nos dernières pensées Lobas se laissaient aller en directions de Jomoson où nous devions reprendre un petit avion le lendemain matin direction Pokhara.
Mais descendus de Kagbeni dans le lit encore asséché de la Kali Gandaki, Vāyu, le dieu hindou du vent, se retourna contre nous avec une furie incroyable, semblant vouloir nous faire faire demi-tour comme si nous avions oublié quelques prières accrochées aux rlung ta (chevaux du vent, autre nom des drapeaux à prière) des nombreux cols franchis durant les quinze derniers jours.
Il était difficile de mettre un pied devant l’autre sans avoir l’air d’ivrogne saoulé au chang.
Ainsi la poussière volait et volait nos derniers regard sur cette vallée.
Arrivés à Jomoson malgré ce vent démoniaque, il ne nous restait plus qu’à nous endormir et à rêver de pouvoir, à notre tour, voler vers Pokhara le lendemain matin.
L’attente d’un improbable avion à Jomoson.
La terrasse de notre hôtel était située au bout de la piste d’attérissage de l’aérodrome de Jomoson.
Sans certitude qu’un avion se poserait sur son tarmac en raison de la mousson frappant l’autre face des Anapurnas, nous nous sommes tout de même levés aux aurores afin d’être à l’affût de toute activité, de tout mouvement, tout vrombissement, indiquant l’arrivée proche d’un avion. Mais le calme demeura.
A Pokhara, aérodrome de provenance des avions atterrissants à Jomoson, on imaginait les passagers comme nous, sur le rooftop de l’aéroport, observant tantôt le ciel tantôt le tarmac sans grand espoir de décoller.
De l’autre côté de cette barrière minérale, de notre côté, le ciel était bleu, presque sans imperfections, mais sans les Anapurnas et Daulagiris faisant rempart à la mousson il aurait probablement était d’un noir menaçant.
Sachant tous, au fond de nous, qu’il n’y aurait pas d’avion, comme il n’y en avait pas eu depuis plusieurs jours et comme il n’y en aurait plus pendant bien d’autres encore, nous avons tout de même passé quatre bonnes heures à attendre que soit acté le fait que nos 20 minutes d’avions seraient transformées en 10h de bus, au moins.
Pendant ce temps, le Nilgiri, éclatant, semblant si proche, nous fit le plaisir de nous tenir compagnie.
Nilgiri vu de Jomoson
Serrés et pas rassurés
Au contraire du vent qui montait, le couperet est tombé et nous a tranché tout espoir de faire le trajet en avion.
Nous nous avons donc eu le droit à un voyage presque ordinaire entre deux “hubs” touristiques à la manière de la majorité des Népalais.
Non pas un, mais plusieurs bus nous emmèneraient à Pokhara, à commencer par un bus à la déco qui ferait verdir de jalousie les hipsters Lyonnais qui rêveraient de le faire déambuler tel un café branché sur les pentes de Croix-Rousse.
Des passagers, tous plus différents les uns que les autres, montaient à chaque arrêt dans les villages traversés.
Des dames et leurs sacs de riz géants ont pris place à l’avant.
Des sadhus, couverts de cendres, et recouverts d’un longhi, ont enjambé ces mêmes sacs pour se frayer un passage jusqu’à positionner les pointes de leurs tridents à la hauteur des visages des privilégiées ayant pu avoir une place assise.
Ces sacs de riz, encore eux, ont finalement permis à des ouvriers stationnés dans l’allée de se poser presque confortablement.
Si ce n’est les deux dames qui discutaient gaiement à l’avant du bus, peu de sourires étaient visibles sur les visages.
Nous, nous souriions. Mais ce rire est plutôt nerveux car nous imaginions la route longue, semée d’embûches et quelques saints hommes en guise de compagnons de voyage ne suffisaient pas à nous rassurer.
Les caprices de “Sa”, la terre, et “Tch’ou”, l’eau
Si deux jours plus tôt, à Mukthinath nous étions en présence des quatre éléments, deux nous aurons fait subir leurs caprices au cours de ce trajet, l’eau de la mousson mais aussi la terre de la montagne.
Après quelques heures sur des routes plutôt larges et quelque peu rassurantes, était venu le moment de changer de bus, un bus peint au couleur de Nike et “piloté” (c’est le mot à utiliser dans ces circonstances) par un ado semblant complètement blasé. Les porteurs nous pressaient, ils craignaient que nous n’ayons pas de places assises, du moins ailleurs que dans l’allée centrale.
Plus le Mustang s’éloignait plus la pluie tombait.
Accoudée à la fenêtre du bus j’osais à peine décaler mon centre de gravité vers l’extérieur de peur de provoquer une catastrophe sur les routes devenues bien plus vertigineuses
Regarder par la fenêtre me faisait frissonner. Je ne pouvais voir le bord de la route, juste un précipice se terminant dans une rivière, les roues jouant sans doute les funambules.
Puis le bus s’est arrêté. Un gros cailloux, enfin un peu moins gros que le gros cailloux Lyonnais, bloquait la route.
Les hommes sont alors sortis pour essayer de le déloger. Il leur aura fallu de gros efforts pour nous permettre de reprendre notre route sous la menace d’autres éboulements.
De nouveau le bus s’est arrêté. La raison cette fois était une cascade qui traversait la route.
la poursuite de notre route impliquait la réparation d’une petite passerelle enjambant les flots.
Le pont réparé nous n’en avions pas fini de nos péripéties aqueuses.
Cette fois la route avait complètement disparue sous les remous d’une rivière.
La seule solution : la traverser à pied.
Pantalons retroussés, chaussures et chaussettes autour du cou, nous voilà donc à traverser une rivière sans avoir aucune idée de la façon dont nous rejoindrons Pokhara une fois de l’autre côté mais faisant confiance au sens pratique des Népalais.
De l’autre côté, le vert était dominant et des jeeps étaient bien présentes attendant les laissés pour compte de la route comme nous.
Si pour nous mousson rime avec aventure et souvenirs exotiques pour les Népalais il s’agit plutôt de pragmatisme.
Malheureusement, comme il y a quelques semaines en Inde elle rime aussi avec dévastation (plus de 1000 personnes sont mortes dans l’état de l’uttarakhand, emportées dans des glissements de terrain).
Après que Tula ait longuement négocié notre trajet (j’imagine que le cour de quatre européens dans la mousson assez élevé), sans comprendre ce qui se passait et même sans savoir s’il se passait vraiment quelque chose nous avons pris place dans une jeep.
Son conducteur, un jeune baraqué au cheveux long, n’avait pas l’air commode et encore moins décidé à partir. Il nous a bien fait comprendre de part son altitude qu’il était le boss et qu’il n’était pas d’humeur à plaisanter avec nous.
Quand nous avons enfin démarré nous nous sommes senti soulagé par sa conduite précises mais un incident nous a confirmé que notre chauffeur n’est vraiment pas un ange.
Alors que deux gamins jouaient au bord de la route, l’un d’entre eux à volontairement surgit devant notre voiture.
Courroucé, notre chauffeur est sorti de la voiture pour mettre une “bonne” raclée à celui qui avait mis sa jeep en danger, de quoi casser un peu l’ambiance.
Après une dernière pause, nous avons terminé notre route. A l’image du trajet, sans nous prêter la moindres attention le conducteur nous a déposé dans une ville à environ deux heures de Pokhara pour un n-ièmme et dernier changement de véhicule qui nous a mené aux retrouvailles avec Pradip qui nous attendait… avec plus de 10h de retard.
Un article intéressant sur la construction de routes au Mustang :
– http://www.bbc.co.uk/news/magazine-18358056