Le démon qui ensanglante les falaises

Les Anapurnas, enfin!
Syangmochen (3850m) est un village minuscule qui pouvait semblait sans autre intérêt que d’offrir aux treckeurs le gîte permettant de se reposer et de ne rien faire d’autre après une exténuante journée de marche. Cependant les collines qui l’encercle cachaient bien des surprises.
Au petit matin de notre 4ème journée de treck Tula semblait pressé. Lui qui est toujours à l’arrière du groupe s’est mis à marcher en tête à un rythme soutenu qui ne ravit ni mes pieds, souffrant encore de la journée précédente, ni mon souffle qui semblait bien court à cette altitude. Le village étant situé dans une cuvette, la journée commençait donc par un bon 200m de dénivelé positif pour atteindre un col à 4070m. Du haut de celui-ci nous comprîmes la raison de son engouement matinal pour la marche sportive : un magnifique panorama sur les Anapurnas.
Bien sur en cette saison la vue n’était pas totalement dégagée mais pour la première fois je pouvais observer la neige éclatante de l’Anapurna 1 (8091 mètres) et de nombreux autres sommets.

Les Anapurnas vus de Syangmocchen

Les Anapurnas vus de Syangmocchen

Nul besoin ici d’Aptotruc ou d’Isobidule, je crois que ce panorama nous a redonné à tous un coup de fouet naturel pour l’ascension du jour.
Mis à part un léger mal des montagnes pour ma première vrai journée à 4000m, se matérialisant par des vertiges et une sensation d’apathie la journée s’est avérée plus facile que nous l’imaginions notamment grâce à la beauté et à l’incroyable diversité des paysages du jour

Chôrten Sayngmocchen

Chörten sur le col à la sortie de Syangmocchen


250 mètres de piété

Après une matinée à traverser les paysages “classiques” du Mustang, qui, bien de désertiques, n’étaient pas pour autant lassants nous sommes arrivés sur un lieu très particulier, là où se trouve le plus long mur de mani du Népal, le mur de Ghemi long de 250m.
Un mur de mani est un monticule de plaques et roches scellées sur lesquelles sont gravées des prières en Tibétain tel que le très populaire mantra “Om Mani Padme um” que toute personne passée par Bodhanath à Katmandou a dans la tête des jours entiers.

Mur de Mani Mustang

Mur de mani au Mustang

Le soleil et le vent s’y faisaient concurrence, sans doute pour que les prières s’envolent aux confins des quatre coins du Mustang (les Lobas représentaient, il y a encore 50 ans la Terre sous forme de rectangle ). Une goretex légère et respirante est donc un bon atour à enfiler le temps d’une pause.

Passés ce mur nous n’étions pas au bout de nos plaisirs architecturaux. Nous nous sommes retrouvés face à trois imposants chörtens, de part leur taille mais aussi de part leur ancienneté supposée séculaire.

Ces trois monuments, posés là tel des caméléons en mode camouflage, se fondaient parfaitement au décor.
Les couleurs utilisées pour les peindre, comme pour tous les lieux religieux du Mustang reprenaient l’ocre, le blanc et noir des falaises environnantes.
On pouvait facilement supposer que ces couleurs avaient été choisies en fonction des matériaux trouvés sur place. Érigés là avec une discrétion que je qualifierai de monumentale. Ils mettaient en exergue le fait que l’homme peut très bien apporter sa pierre aux paysages sans pour autant les dénaturer.

tintin au tibet Chôrten

Cela dit, le choix des couleurs n’était pas dépourvu de signification. Elles représentent les couleurs de la secte Sakaya. Ce qui laisse penser que même les falaises étaient elles mêmes Sakyapa au Mustang.

Nous

Qui mieux que Tintin au Tibet pour vous rafraichir la mémoire quant au symbolisme d’un Chörten :

tintin au tibet Chôrten


Dakhmar : théâtre d’une bataille démoniaque.

Laissant derrière nous nos somptueux chörtens, nous sommes arrivés rapidement sur Dakhmar.

Le village, blotti au pied de grandes orgues de rocher rouge sang abritant de nombreuses grottes troglodytes était posé sur un tapis d’herbe d’un vert à en rendre jaloux les plus beaux green de golf.

Dakmar

Dakhmar aurait été il fût un temps, indéterminé, le théâtre, ou plutôt l’arène, d’une bataille entre le Saint Urgyen Rimpoche et un démon parmi tant d’autres peuplant alors le Mustang. Bataillant férocement avec le démon ce bodhisattva s’empara de son cœur qu’il jeta sur ce qui deviendra plus tard le monastère de Lo Gekar. Le sang de ses poumons fût répandu sur les falaises et ces intestins devinrent le fameux mur de mani dont il a été question plus haut… bref charmant endroit.

Soirée à Dakmar

Après m’être posée un bon moment sur mon lit les jambes en l’air, bien au chaud dans ma polaire, pour me remettre de la journée de marche, c’est attirée par les éclats de rires qui résonnaient dans la maison que j’ai repris une position plus conventionnelle et que je suis partie, intriguée, à la recherche de ce qui pouvait entrainer de tels éclats de rire.

Chambre typique

Je suis donc tombée sur Mané, Kansa et Tula faisant une partie de carrom (billard népalais), j’aurai pu m’en douter car les parties de carrom provoquent les mêmes éclats de rires qu’elles se déroulent au Mustang en Inde ou chez moi à Lille.

Le carrom se jouant à 2 ou 4 je me suis incrustée dans la partie, faisant équipe avec Kansa, mon porteur. Je ne pouvais pas me permettre de le décevoir lui qui trimballait mon duffle bag toute la journée. J’ai alors tenté mon premier coup. Loin d’être un coup de maitre j’ai tenté un “backshoot” imaginant pouvoir mettre un pion dans le trou en envoyant le palet en arrière, tous ont alors éclaté de rire. Selon eux cette technique est interdite… il faut que je vérifie ça dans les règles internationales du carrom (si si ça existe).

Partie de carrom à Dakmar

Plus les parties s’enchainaient, plus le nombre de personnes rassemblées autour du carrom augmentait, attirées comme moi par les rires résonant dans la maison.
Bref une bonne partie de rigolade qui aura empêché plus d’un treckeur de finir sa sieste.

Je garde un très bon souvenir de cette soirée, d’autant plus que nos hôtes étaient très accueillant, tous aussi souriants, du nouveau né à la grand mère au visage marqué par la vie extrême Himalayenne.. Cette dame ne manquait pas de nous offrir ses sourires bienveillants et sincères à chaque fois que nos regards se croisaient. Je me suis toujours émerveillée face à ces visages Himalayen, notamment en parcourant les portraits tirés par Olivier Folmy dans ses livres et je m’en émerveille aujourd’hui d’autant plus que j’ai la chance de les croiser au grès de mes voyages.
Ils sont un peu l’allégorie des difficultés surmontées par ces populations pour s’adapter à ces conditions et de la philosophie qui les animes, la bonté, la compassion, la simplicité.

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