[Marka] Chilling-Skiu : réfléxions au clair de lune

Rappel du contexte du voyage :
Ancienne étudiante de l’ENSI de Bourges, j’ai suivi les étudiants de mon école d’ingénieur, membres de l’association « 5 sommets 5 continents » au Ladakh afin de participer à des missions de solidarité dans des villages touchés par les graves inondations de 2010.
Après quelques jours à travailler à l’installation de panneaux solaires nous avions décidé d’aller rendre visite à nos amis travaillant sur le projet de Skiu.

Chacun des moments passés au Ladakh furent remarquables, la balade que nous avons effectué entre Chilling et Skui, un aller-retour entre deux villages comme peuvent le faire régulièrement certains Ladakhis comme Khenrab, en fait partie.
En avance, enfin pas en retard, sur notre mission d’installation de panneaux solaires et ayant dépassé notre quota autorisé de trous béants dans les murs, Anne-Sophie, David et moi-même avons proposé à Khenrab de partir pour l’après-midi rendre visite à nos confrères de Skiu, eux aussi affairés à poser des panneaux solaires sur le toit du « community hall » du village. C’était là une bonne occasion de partager le peu du matériel de bricolage dont nous disposions. Il n’y a pas de Bricorama dans la vallée de la Marka, les Ladakhis vivent en autosuffisance et sont capables de tout faire avec ce que leur apporte leur environnement. On apprend donc vite à se débrouiller avec les moyens du bord et à marcher quelques heures pour échanger tant du matériel que de l’immatériel : les conseils, les expériences….
Mais dans la vallée, marcher d’un village à un autre ne relève pas d’une affaire de quelques minutes, environ 3h de marche sont nécessaires… pour l’aller.
Comme dans la culture Ladakhie la notion du temps qui passe est presque inexistante nous avons quitté Chilling sans empressement pour rejoindre à Skui en fin d’après-midi.

Auto-stop au Ladakh

La première partie du chemin, ne nécessite pas un sens de l’orientation aigu. Elle consiste simplement à suivre le fleuve Zanskar pendant une grosse heure pour rejoindre le CABLE CAR (un mystérieux moyen de transport), à moins d’avoir la chance, comme nous, de croiser un véhicule acceptant de nous y déposer. La première partie de la route s’est donc effectuée au bord d’une route carrossable, les montagnes à notre droite et le fleuve en contre bas… à l’autre droite. On y croise presque personne, le prochain village étant à 3 heures de marche cela limite les rencontres fortuites. Seuls quelques ouvriers Biharis (état extrêmement pauvre du Nord de l’Inde qui fourni une grosse partie des ouvriers non qualifiés travaillant sur les routes à hauts risques de l’Himalaya) sont là pour en assurer la maintenance. Par chance, nous avons croisé un pickup ayant accepté de nous emmener jusqu’à « l’embarcadère » du cable-car, agrippés à la cargaison, cheveux dans le vent.
Au Ladakh, faire du stop est très fréquent. Les ladakhis ont cette culture de l’entre-aide inculquée par le Boudhisme ainsi que part l’environnement particulier auquel ils sont excellemment bien adaptés.
Je me souviens, du jour ou Anne-Sophie et moi avons quitté Chilling avant notre retour en France. Khenrab nous ramenait sur Leh, accompagné de Tashi dans sa petite voiture. Nous croisâmes deux jeunes touristes faisant du stop. Bien que la voiture était pleine, Khenrab s’arrêta pour saluer ces deux treckeurs et pour s’excuser de ne pouvoir les emmener. Encore un moment qui m’a surpris, moi l’occidentale qui ai l’habitude de croiser des auto-stoppeur mais que tout le monde ignore. Mais au Ladakh, les conditions de vie ont fait de la solidarité et l’entraide non pas un style de vie mais bien un mode de vie. L’individualisme n’existe pas, parler aux inconnus sans rien attendre en retour n’est pas considéré comme une perte de temps et l’individu n’y est pas une menace ou un concurrent dont il faut se méfier.

Le cable car – l’aller
Pour rejoindre Skui, il était nécessaire de traverser le fleuve, cependant Eiffage n’ayant pas encore mis la main sur cette niche du marché Indien (pour ma plus grande satisfaction je dois l’avouer) et la traversée s’effectue avec les moyens du bord.
Le « moyen du bord » ici n’est donc pas un pont (même pas un « pont de singe »), non pas d’un bateau (bien que de nombreux rafting déboulent en cette saison), non pas la nage mais ce fameux « CABLE CAR ».
Lorsque l’on entend ce terme pour la première fois on s’imagine à Montmartre sur le funiculaire, Amelie Poulin gambadant en contrebas sur les mélodies de Yann Tiersen.
Puis peu à peu des rumeurs, toutes plus inquiétantes les unes que les autres (:-)), se font entendre. Il s’agirait en fait d’une tyrolienne de fortune sur laquelle serait accrochée une toute petite caisse en bois. Pire ! Le sac d’un étudiant serait même tombé dans le Zanskar depuis celui-ci ! Notre version Ladakhi d’Amelie Poulain se transformerait donc en un mauvais remake à la « Indiana Johns ».

Vue sur Chilling
Antoine s’éclate dans le cable-car

Mais intrépides comme nous sommes, nous avons donc pris place, un ou deux à la fois, dans la caissette.
En journée des hommes sont présents sur les deux rives, une fois lancé on se retrouve pendus au milieu du tumultueux fleuve attendant que ces derniers nous tirent vers la rive, mieux vaut alors ne pas avoir le vertige. Les sacs biens accrochés sur les épaules, le plus gros danger est en fait de se cogner la tête à la poulie en sortant de « la cabine ».
Arrivés à bon port nous avons repris notre marche pour encore deux bonnes heures au milieu de montagnes arides, dépourvu de toute végétation avant d’apercevoir au loin la verdure presque inespérée de l’oasis qu’est le village de Skiu.

Vue sur Skiu
Skiu, au loin

La balade se fait alors plus sportive, avec un petit col à passer et quelques pentes bien raides à gravir.
Notre balade n’avait rien d’un treck pour sportif de haut niveau, cela dit mieux valait ne pas avoir le souffle trop court pour gravir ces collines sans finir exténués.

A mi-chemin le ciel se faisait de plus en plus menaçant, on avait l’impression que les nuages avaient entamé une course poursuite contre nous. A chaque fois que nous nous retournions, nous pouvions voir l’orage menaçant se rapprocher, le vent se renforçait faisant virevolter le sable et menaçant quelques éboulis de dévaler les pentes, nous évitions donc de marcher à flanc de montagne. Plus tard nos amis à Skui nous racontèrent qu’ils avaient pu observer l’orage et ses éclairs frappant les sommets environnants qui se mettaient alors à fumer.

Orage dans la marka vallée
Orage dans la Marka vallée

L’orage ne dura cependant pas très longtemps, et nous atteignîmes un village peu avant Skui, bien content de retrouver un peu de verdure. Malheureusement suite à un bug de carte mémoire je n’ai que très peu de photo de ces villages à partager.
Lors de la traversée de cette zone, chaque personne que nous croisions de près ou de loin nous saluait, les plus éloignés nous voyant arriver nous faisaient de grands signes nous invitant à les rejoindre pour un thé. Ne souhaitant pas arriver à Skiu trop tard nous nous vîmes contraints de refuser.
Enfin arrivés à Skui, nous avons retrouvé nos amis, surpris, mais contents de nous voir là (aucun moyen de communication ne relie ces deux villages, ils n’étaient donc pas au courant de notre visite).

Skui
Skiu est un tout petit village bien vert entouré de montagnes ocres.
Il accueille quelque trekkeurs de passage dans ses « home stay », concept de B&B à la ladakhi mis en place par Khenrab. Dans ce village, un luxe : la douche solaire, le seul moyen de se laver autrement qu’avec l’eau des ruisseaux de la vallée ! Ruisseaux et rivières d’ailleurs durement touchés par les inondations de 2010, nous pouvions encore voir les rochers déplacés par la crue et le lit de la rivière sans dessus-dessous.
Nous n’y sommes restés qu’une ou deux heures car la nuit tombe tôt en Inde et nous ne voulions pas refaire la route de nuit même si cela ne stressait pas Khenrab le moins du monde. Nous avons donc repris la route et comme à l’aller, nous nous sommes vus proposer de nombreuses invitations à boire le thé. Malgré notre empressement d’avancer le plus vite possible, Khenrab nous proposa de nous arrêter chez une habitante qui nous offrit thé et biscuits secs, simples mais un régal lorsqu’ils ramollissent trempés dans le thé. Anne-Sophie fît alors comprendre à Khenrab qu’elle ne souhaitait pas que l’on s’éternise car la nuit tombait, s’en suit alors un intéressant échange de points de vue.

La maitrise des risques – concept Ladakhi
Pour Anne-Sophie il paraissait dangereux de rentrer de nuit, les sentiers étant loin d’être balisés, et les éboulis fréquents (rassurez vous on était loin de risquer notre vie à chaque instant). Pour Khenrab le point de vue était bien différent. Pour lui pas de souci à se faire, non pas qu’il n’y avait aucun danger, mais, je le cite, s’il nous arrive quelque chose c’est que ça devait arriver on ne peut pas le contrôler alors à quoi bon s’en faire. Cela peut paraître la caricature faite d’un boudhiste par un occidental en mal de « zenitude » mais croyez moi il s’agit bien là de ses propos.

(je ne sais pas s’il avait conscience qu’il parlait là à des ingénieurs ayant choisis de se spécialiser en maitrise des risques… il remettait là en cause tout le concept de l’ENSI de Bourges école d’ingénieur spécialisée dans ce domaine). On pourrait alors penser que Khenrab n’est qu’un inconscient ayant toutes ses chances au casting de Jackass mais il n’en est rien. Je décrirais plutôt son état d’esprit comme le fait très bien Helena Norberg-Hodge dans un de ses livres :
« Les ladakhis ont envers la vie et la mort une attitude qui semble reposer sur une compréhension intuitive de l’impermanence des choses auxquelles ils ne s’attachent donc pas. Au lieu de s’entêter à dire comment les choses devraient être, ils semblent avoir le bonheur de les accueillir telles qu’elles le sont » .


La nuit tombante

Cable car – l’expérience de nuit
Notre empressement venait aussi du fait que nous souhaitions traverser la rivière avant la nuit, Khenrab nous ayant indiqué qu’il y avait assez peu de chance que nous trouvions des gens pour nous aider à la traverser de nuit.
Malgré notre marche soutenue, nous n’atteignîmes le cable-car qu’à la nuit tombée ayant profité d’un couché de soleil surnaturel que l’on n’imagine ne voir que sur mars.

Le Ladakh et ses paysages marsiens
Le Ladakh et ses paysages marsiens

La nuit tombée, nous avions beau crier pour tenter de réveiller les ouvriers que nous supposions dormir dans une tente que nous apercevions, personne ne donna signe de vie.
Nous réfléchîmes alors à la logistique à mettre en place pour permettre à chacun de traverser dans les meilleures conditions. Cela me rappelait le casse tête du choux, de la chèvre et du loup devant traverser la rivière, sauf qu’ici nous ne risquions pas de nous dévorer les uns les autres mais plutôt de rester bloqués faute de force dans les bras pour tirer la tirolienne.
Khenrab, l’expérimenté, traversa donc en premier.
Nous tirâmes ensuite le cable-car pour qu’il revienne sur notre rive. Mais celui-ci resta coincé en plein milieu de la rivière, Anne-Sophie David et moi avions beau tirer de toutes nos forces, il nous opposa une très forte résistance, il n’y avait aucun moyen de le faire revenir vers nous, et là c’est le drame ! Un caillou avait dû se coincer entre la poulie et le câble. D’autre part nous n’avions aucun moyen de communiquer avec Khenrab en raison de la distance il n’entendait pas ce que nous lui criions et ne pouvait nous faire parvenir ses instructions. Par chance un paysan accompagné de ses poneys approcha. Il nous aida et réussi à débloquer le cable-car. Anne-Sophie et moi embarquèrent alors. La traversée se passa bien grâce aux bras de Khenrab qui nous tirèrent vers le bord. Il ne restait plus que David, il suivit donc les instruction de Khenrab et se lança dans la traversée. Manque de bol, lui aussi resta bloqué en plein milieu et nos efforts pour le tirer vers nous restèrent vains. Peu motivé pour une nuit à la belle étoile au dessus du fleuve il fini par réussir à débloquer le cable-car et nous rejoignis sur la terre ferme.
La pression du passage du cable-car redescendue il nous restait une heure de marche dans le noir pour rejoindre Chilling.

Faut-il se méfier des « coup de lune » ?

Orage dans la marka vallée
La lune notre meilleure alliée, photo prise à la tombée du jour

La nuit étant totale notre réflexe fût donc d’enfiler nos frontales et de les allumer à pleine puissance avant de nous rendre compte qu’elles n’étaient pas nécessaires. Nous pouvions en effet profiter d’un clair de lune incroyable. Les « rayons de la lune » si j’ose dire se reflétaient de parts et d’autres de la route sur les clairs flancs de montagnes nous entourant. Après quelques années de vie dans la métropole Lilloise et la mégalopole qu’est Delhi, on en arrive à oublier qu’il peut y avoir autant d’étoiles dans le ciel. Nous y voyions en fait plus clair sans les frontales et le fait de profiter d’une lumière naturelle rendait le moment encore plus magique.
Les ingénieurs que nous sommes, nous demandâmes alors s’il était possible d’attraper des coups de lune tant sa lumière nous paraissait intense….
Notre plus grand souhait aurait été d’apercevoir ses reflets de lune dans le regard d’un léopard des neiges, qu’il est possible de croiser à cette altitude. Mais nous n’avons pas eu cette chance.
Nous marchâmes sans rencontrer âme qui vive, échangeant avec Khenrab. En cours de route Khenrab nous arrêta, l’oreille à l’affût. Il venait d’entendre des pierres dégringoler de la montagne, mais marchant à une distance de sécurité de celle-ci nous ne courrions aucun risque.
Nous reprîmes tranquillement notre chemin avant d’apercevoir au loin Chilling, non pas ces lumière comme on pourrait l’imaginer à l’approche d’un hameau mais juste le profil familier des montagnes.

Nos hôtes nous accueillirent alors avec un frugale dîner, se demandant certainement où nous étions passés et ayant sans doute abandonnés l’idée de nous avoir pour le dîner.


Pour aller plus loin :
Je vous invite à voir ou revoir le numéro d’Ushuaia nature « Le troisième pôle » qui a été tourné en 2004 au Ladakh et dans lequel on peut découvrir Khenrab traquant le fameux léopard.
A mon retour du Ladakh on m’a offert ce DVD, je me suis alors souvenue avoir vue l’émission des années auparavant, rêvant à de pareilles aventures, pensant certainement à l’époque que tout cela m’était inaccessible, bien loin de mon village du Nord de la France. Je n’aurai certainement jamais pensé qu’un jour je rencontrerai ce protecteur des léopards des neiges, que je vivrais dans sa famille, que je travaillerai sur un de ses projets et surtout qu’il deviendrait un ami et l’une des personnes que j’estime le plus.
Et pourtant avec de la chance, au grès des rencontres tout ça est bien arrivé.
Tout ça pour dire : continuer de rêver!!!

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