Rappel du contexte du voyage :
J’ai suivi les étudiants de mon école d’ingénieur membres de l’association « 5 sommets 5 continents » au Ladakh afin de participer à des missions de solidarité dans des villages touchés par les graves inondations de 2010. Nous étions en route pour Leh
Comme je l’indiquai dans mon précédemment post c’est à partir du troisième jour de voyage que nous allions emprunter LA route qui nous faisait à la fois rêver et trembler, la fameuse Manali-Leh highway, seconde route carrossable plus haute du monde sur laquelle nous allions franchir plusieurs cols dépassant ou approchant les 5000m.
Cependant, à 4h du matin ce mardi, le suspens était à son comble. En raison des travaux hebdomadaires sur la route visant à dégager les pierres éboulées, la boue accumulée suite aux chutes de pluie de la mousson, la route était fermée à la circulation à partir de Manali.
Notre seule chance de passer était d’être les premiers à vouloir corrompre les militaires barrant le passage.
Arrivés au premier checkpoint après quelques minutes de bus nous avons attendu de très très longues minutes que notre guide, Jampa, négocie notre passage. Dehors il pleuvait à verse et intérieurement ma conscience me disait que de nuit et par ce temps mieux valait peut être ne pas tenter ce périlleux tour de montagnes russes. J’avais en tête la route étroite que j’avais parcouru deux ans auparavant pour aller faire de la luge avec mes collègues, le fait que je n’osais pas regarder par la fenêtre tant le précipice était proche et le souvenir des carcasses de véhicules tombés à des centaines de mètres en contrebas.
Mais si, c’était le jour J, et Jampa, avait réussi avec quelques roupies et le joker appel à un ami (à Kenrab notre partenaire responsable d’un parc national), à nous faire franchir ce premier checkpoint.
L’avantage de partir si tôt et le mardi était que nous n’allions croiser presque personne sur la route ce qui limiterait dépassements et croisements hasardeux.
Comme nous avions fait le début de la route de nuit j’ai presque réussi à faire abstraction de son étroitesse et de ses dangers, mais le jour se lève tôt en Inde et vers 6h dans la brume nous serrions les dents à chaque virage en épingle, espérant que la mécanique du bus n’était pas dans un si piteuse état que son aspect extérieur le laissait penser. Mais après quelques heures de route nous passâmes les 4000m de Rothang pass sans problème.
J’ai souri intérieurement en regardant la pente que j’avais dévalée deux ans plus tôt en mode luge-humaine terminant ma descente le pantalon arraché…
Bref, retournons à nos ibex.
Après un second checkpoint et un nouveau pot de vin nous étions autorisés à nous lancer une fois pour toutes sur la route, c’était là l’occasion de comprendre comment fonctionne la société indienne grâce à la corruption, sujet qui ferait la une des médias du monde entier deux semaines plus tard grâce au militant Anna Hazare.
A cette saison la neige avait fondu et laissait place à une patinoire de boue, nous avions pris de l’altitude et pouvions observer les montagnes au dessus de la brume et des nuages bas.
Rothang Pass
Un peu comme dans Duel, nous avons assisté à une bataille de poids lourds entre notre bus et un camion refusant de nous laisser passer. Nous avons finalement gagné et avons pu poursuivre notre route.
DUEL
Depuis que nous avions quitté Manali la nature se faisait de plus en plus sauvage et vierge, nous ne croisions que quelques rares villages. Bizarrement la route devenait de plus en plus carrossable et les nids de poules moins abondants, ce qui soulageait mon bras gauche qui, a force de rebondir contre la paroi du bus, était plein de bleus.
Le premier ennui mécanique de la journée, un caillou coincé entre les pneus, fut l’occasion de nous dégourdir les jambes avant notre pause déjeuné à Darsha.
A Darsha nous étions presque au Ladakh, à plusieurs dizaines de kilomètres des prochaines zones habitées. Nous avons mangé dans un « refuge » (terme pas tout à fait choisi au hasard, vous comprendre pourquoi plus tard) de routier fait de tôle et de bâches tenu par une famille Ladakhi.
C’est le ventre bien rempli et réhydraté par le classique milk-tea nous avons repris la route.
Nous n’étions cependant pas très confiants quant à la suite du voyage, le moteur du bus nous inquiétant un peu. Après quelques kilomètres notre bus peinait sur le moindres faux plat, les montées étaient presque devenues impossibles, ce qui est fâcheu quand on fait de la haute montagne. L’assistant du chauffeur passait son temps à trifouiller dans le moteur pour nous permettre d’avancer. Les indiens ne s’avouant jamais vaincus nous avons tant bien que mal continué notre chemin avant de nous arrêter afin de réparer ce fichu bus qui fumais noir de chez noir. J’en ai profité pour faire une première petite balade himalayenne, pour la première fois je ressentais vraiment les effets de l’altitude : l’essoufflement au moindres petit effort.
Le bus fumant un peu moins noir, un peu seulement, nous avons repris la route. Mais quelques kilomètres plus loin, le bus n’avançait plus le moins du monde. La situation nous semblait alors presque désespérée. Nous étions au milieu de rien, à 30 kilomètres de Sarchu, là où nous devions camper et à une vingtaine de l’endroit où nous avions déjeuné, ça peut semblait peu mais pas là au milieu de l’immensité immense quand aucun autre véhicule ne passait (bin oui la route était officiellement fermée) et quand les téléphones portable sont bien loin des dernières antennes relais. Arrêté sur une mini base militaire nous avions l’espoir de pouvoir utiliser un téléphone satellitaires de l’armé pour appeler des renforts, mais cette base fantôme sur lesquels seuls 2 ou 3 militaires étaient présents, eux même sans moyen de locomotion (l’un des militaires à d’ailleurs fait un bout de chemin avec nous en stop un peu plus tôt dans la journée avant de se rendre compte de l’état du bus et de sauter dans le premier camion passant) ne possédait pas le moindre moyen de communication.
La nuit n’allait pas tarder à tomber, il faisait froid et il fallait trouver une solution :
– passer la nuit dans le bus et attendre l’éventuel passage d’un véhicule avec à son bord super-mécano ;
– tenter de faire demi-tour, la pente étant descendante sur la majeur partie du chemin nous ramenant à Darsha nous avions peut être une chance d’arriver à destination avant la nuit.
La deuxième solution fût privilégiée. Le bus roulait au pas et tout le monde retenait son souffle. Le silence était presque pesant, il n’y eu pas un mot durant la grosse heure qu’il nous a fallu pour faire 10km. C’est soulagé de ne pas passer la nuit dans le bus que nous avons atteint Darsha et avons retrouvé la famille nous ayant servi notre repas du midi. Ces derniers devaient être ravis de retrouver un groupe de 20 personnes à nourrir mais aussi à loger, car les banquettes sur lesquelles nous avions mangé allaient nous servir de lits cette nuit là, fini les hôtels de luxe tels qu’on les avait connu à Nalagarh et Manali, nous passerions notre première nuit dans l’Inde que j’aime celle de l’imprévu.
Dortoir improvisé
Etant donné que nous étions restés mués tout le trajet, le débriefing organisé ce soir là fût donc d’une importance capitale afin que chacun puisse s’exprimer sur la façon dont il avait vécu cette journée, ses angoisses, ses coups de gueule… De façon inattendue personne ne s’est plaint, pour certains c’était même la meilleure journée passée depuis le début du voyage, la vrai aventure comme ils l’attendaient et au final nous étions tous heureux de passer la soirée ensemble à dormir dans le même dortoir de fortune et de mon côté j’étais ravie de retrouver l’Inde et ses galères !