Episode de grimpe Cévenol

Avant ces vacances, les Cévennes étaient pour moi un terme issu du champ lexical de la météorologie d’Evelyne Dhéliat , situé très approximativement quelque part dans le Sud, un endroit sans doute davantage peuplé de cigales que d’autres choses. Quant à la Lozère, c’était pour moi un tout petit comité départemental du tourisme inaudible au sein d’un groupement occitan de départements dont je gérais le système d’information alors qu’un premier job m’avait inopinément fait accédé à l’envers du décor digital du marketing de des belles régions de notre douce France, cet endroit c’était des jpeg dans ma base de données.

C’est donc d’un épisode cévenol entre Aveyron et Lozère dont il sera question dans ce récit de vacances, récit du temps volé à la routine quotidienne et nourricière des 340 autres jours par an passés à Amsterdam à contrarier notre nature de lézards amoureux des rochers. Des lézards empâtés, ascendants vautours, nécrophages des reliquats de ce temps-là, ces bêtes rupestres qui seules nous tiendront compagnie durant les ascensions lors desquelles nos congénères se feront discret pour notre plus grand bonheur.

Toujours la même rengaine.
Liberté, baudrier, derniers de cordée, mal de pieds,… mais cette fois la perspective avait un peu changé, pour la première fois, en plus de gérer nos inévitables complaintes plantaires et trouver au fond de nos chaussons toutes les excuses à nos abandons, ils nous faudrait gérer l’Autre au sein de notre cordée quelque peu fusionnelle. L’Autre, une nouvelle corde reliée à nos baudriers après quelques années à lier notre amitié, une corde nommée Karsten.
Ami allemand, apprenti falaisiste, partageant notre mode de vie et de pensée de migrants idéalistes ayant tout quitté (le vin, le relief, le relief d’une vie aux tanins variés) pour travailler à une téléphonie plus équitable chez Fairphone. Karsten c’est mon “buddy”, comme on dit dans les start-up à la cool. Nous avons commencé le même jour et ne nous sommes plus jamais quittés, mais en serait-il autant après quelques jours de promiscuité en cordées ou l’un de nous aura-t-il envie de couper la corde prématurément ?
Suspicieusement, alors que nous marchions à la tombée du jour pour découvrir notre lieu-dit de villégiature – Les Vignes – Karsten et Romain se sont arrêtés longuement devant un stand de couteaux, trop longuement… d’autant que nous étions entourés de saucissons de pays, de fromages au fouet à en saliver et qu’à leur place je focalisais davantage sur nos apéros et sur l’équilibre en gras saturés de nos futurs piques-niques. Avaient-ils en tête de s’équiper pour m’éliminer de la cordée ?

Je me serais méfiée davantage si Karsten n’avait été un homme de principes, principes végétaliens, n’ayant aucune attirance pour les produits des bêtes de nos terroirs.
Toutes les vacances, toutes les ascensions, j’aurais senti s’ajouter à mon propre poids, celui du regard réprobateur d’un pourfendeur du flexitarisme, dédaignant la doctrine de notre cordée: « une ascension, un saucisson ».
Quel plus grand plaisir que de faire suinter au fond de son sac un bout de gras pendant les heures d’une ascension en plein soleil, de le manipuler une fois le dernier relais atteint, s’en humectant les mains abîmées par le rocher, le découper sur des rochers pour seule planche à découper, pour s’en revigorer, des centaines de mètres de vide sous nos pieds, un panorama mérité ?
Mais il avait choisi pour contempler la vue, ses pommes et ses fruits secs dont je dois dire que le paquet “Albert Heijn” importé d’Amsterdam dénotait dans mon univers de grimpe exempt de pop-culture néerlandaise.

Et pourtant, il l’aurait bien mérité son saucisson, car pour une première fois en falaise, une première fois en grandes voies, il est loin d’avoir démérité. J’ai certes ouïe dire que, alors que j’assurais du haut d’une longueur qui m’avait donné de la corde à retordre, l’un de mes second de cordé a dû lui pousser un peu les fesses dans certains passages et j’ai retrouvé ce qui ressemblait étrangement à un étrier de secours accroché à son baudrier, ces sangles nouées à une extrémité pour y passer un pied sur lequel pousser quand les prises se font introuvables.

En haut de notre dernière grande voie commune, avant qu’il ne parte traverser la France, la Suisse et l’Italie en train pour d’autres aventures (car le Karsten se doit d’être un modèle de basses émissions carbone, lui qui passait ses pauses pique-nique à appeler sa chère et tendre thésarde chinoise en mission en Mongolie intérieure à étudier l’activisme environnemental des courageux militants de son pays), il s’est même courageusement élancé dans une descente en rappel en fil d’araignée, déséquilibré par des rafales de vents, sous un ciel noir annonçant une pluie qu’on espérait ne nous arroser que la descente achevée.
Nous l’avions longuement formé aux manip de corde et de sécurité, en salle à Amsterdam, dans notre appartements Aux Vignes suspendu à la mezzanine, sur un relais improvisé à deux mètres de hauteur sur le rocher, un jour où j’avais oublié mes chaussons de grimpe et avait dû me contenter d’enseigner, de photographier, de contempler.
Alors que les deux grimpaient, j’étais restée sur la vire, le nez en l’air à traquer les passages de vautours, leur ombre sur la falaise, leur cris, le sifflement de l’air qui s’écoulait autour de leurs ailes.
Un jour, ce sont deux chasseurs, les avions qui se sont presque fait passer pour des hirondelles, fonçant dans l’étroite vallée encaissée dans les falaise avant de brusquement et sans doute élégamment faire demi-tour.
Je passerais bien des journées entières perchées sur une vire, à observer la magie des courants porteurs qui font s’élever sans grand effort ses oiseaux lourds et massifs, attendre qu’un couple me frôle pour considérer avoir rempli l’objectif de ma journée.
L’objectif fut atteint lorsque pour conclure une randonnée à la découverte de village troglodyte à flanc de causse, abandonné de tous sauf des vautours (et des catholiques en pèlerinage annuel), nous découvrirent deux nids, animés par les cris des oisillons et les allées et venues de leur parents, deux nids à une dizaine de mètres du chemin.
Nous nous sommes alors assis en silence dans la caillasse du sentier, obligés de nous arrêter encore plus, d’arrêter de marcher, de penser, de parler, dans cet environnement qui n’avait pas besoin d’un commentaire anthropocentré pour continuer d’exister.


Les Gorges de la Jonte offrent des moments d’escalade natures parfaits.
On y croise très peu de monde et peu de grimpeurs ont laissé une trace sur le rocher avant nous. La friction est parfaite, les placement de pieds rendus élégants à ceux qui veulent de leur pointe transformer la paroi en une scène de ballet pour utiliser le poids de son corps comme un outil et non un fardeau.

 

Karsten y a compris que non l’escalade, à notre niveau, ce n’est pas enchaîner les pompes et les tractions, ce n’est pas se suspendre à un doigt au pan gullich, c’est d’abord une question d’élégance, de feelings et de mental.
Et puis c’est marcher, beaucoup marcher, monter mais encore plus: savoir descendre.
Dans le meilleur des cas, on descend une bonne partie en quelques minutes en rappel, croisant les doigts pour ne pas coincer la corde dans des fissures. Mais le maçon Érosion n’a pas fait de falaises parfaitement lisse  et pour éviter d’avoir à faire appel au secours en montagne pour venir décoincer notre corde il vaut souvent mieux descendre à pied.
Ce fut le cas depuis le causse quand après le pique-nique à l’ombre d’un vase, sculpture naturelle caractéristique de ces gorges, nous avons dû désescalader par un extrêmement raide goulot maladroitement équipé de quelques barreaux métalliques et câbles dans lesquels il fallait impérativement s’auto-assurer avant de terminer de pierrier en sentier quelques centaines de mètres plus bas.

Il faut donc savoir marcher avant de savoir grimper.
Et l’Aveyron et la Lozère, ces deux vallées qui se rencontrent au village Du Rozier, sont d’une raideur parfaitement indiquée pour ce genre d’activité, regorgeant de Point-Sublime, à chaque crête changeant d’orientation.

 

Karsten aura compris durant ce séjour, qu’il n’y a que dans les magazines et les vidéos Patagonia que les grimpeurs ne pestent  jamais, que jamais leurs pieds n’enflent au point de transformer “le chausson” en sujet de conversation obsessionnel alimentant les conversations de relais, qu’ils peuvent se passer d’un sac à dos qui de toute façon ne contiendra jamais assez d’eau pour l’approche, l’ascension et la redescente.
Jamais ils ne se font surprendre par un réveil trop tardif qui les place, aigris, dernière trois cordées de retraités du club alpin de Truc-Les-Bains, ce à quoi Romain à trouvé la parade en programmant sournoisement son réveil pour me forcer à me lever et à être les premiers au pied de la voie, tellement tôt que l’on peut croiser sur la route déserte de beaux spécimens germaniques, faisait leur salut au soleil directement sur le macadam.

Jamais les champions de l’image, au crâne en titane dont le casque ne serait qu’une excroissance vulgaire, ne finissent à descendre les sentiers les plus raides sur les fesses. Jamais ils ne soupirent quand ils voient que le seul passage vers la falaise demande de se hisser à une corde fixe grignotée par tant d’étés ensoleillés et d’hivers enneigés. Jamais ils ne crient à leur premier de cordée qu’ils sont bloqués, que les prises sont trop petites et qu’ils n’y arriveront jamais, comme ce fut le cas de notre voisin de falaise, bien peiné de ne pas être capable de rejoindre sa comparse alors que Karsten et moi discutions tranquillement sur le relais d’à côté pendant que Romain terminait sa longueur.

C’est ça l’escalade de Monsieur Tout-Le-Monde.
Notre seul point commun avec eux: les débats plus ou moins houleux quant à la cotation de la voie ou quand une voie indiquée 5b+ sur le topos se transforme en 6a+ dans nos imaginaires pour finalement se révéler avoir été ré-estimée en 5a+ par les experts du coin, rendant risibles les discussions de comptoir de salle d’escalade “alors tu as flashé la 6b+?”, “oué mais le mouv’ là j’aurais plutôt quoté 6C, faut vraiment que je fasse plus de pan Gullich”… quand sur le rocher ils auraient tiré à la dégaine d’un 5a.

Et moi j’avais compris qu’en me concentrant sur quelqu’un d’autre, sur sa sécurité, son plaisir, j’en prenais d’autant plus.
Comme dit Romain non sans ironie, l’escalade c’est l’école de la vie.

Merci Karsten!

2 commentaires pour “Episode de grimpe Cévenol

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