Taiwan – L’île patate

Il fait nuit, encore et encore, mes yeux cherchent la lumière alors ils se raccrochent aux néons verts clignotant rose.

En 48 heures je n’ai vu la lumière du jour qu’une fois, sur la route du shabu shabu, ce restau à copieuses fondues Taiwanaises dans lequel nos homologues nous ont emmené au midi de notre première journée de réunion alors que nous avions davantage besoin de sommeil que de nourriture.

Je suis au 10e étage dans ma chambre d’hôtel, assise face à une baie vitrée, le regard dans le néon.

C’est ma deuxième nuit à Taipei.

Deux nuits en arrière, j’étais dans un avion. A l’atterrissage, alors que des montagnes vertes perçaient un continent de nuages, la nuit cherchait à masquer leur impudeur, courant après notre avion, ne laissant aucun répit à mon corps sans énergie affamé de photons.

 

Désormais, le tempo des jours et des nuits n’est plus maître de ma physiologie. Je ne sais plus si je dois dormir ou manger. Déphasage biologique, conséquence d’un chamboulement intellectuel, presque idéologique.

Car, je n’ai pas pour habitude de consommer du Monde d’un clic sur sa toile et mon esprit fossile très voyageur « 19e siècle », crois encore qu’aller au bout du monde se rêve, se prépare, se documente, ne se fait pas sans raison profonde, sans passion. Mais cette fois, tout est allé vite. Un nouveau poste, un projet dont je tiens à la réussite plus qu’à n’importe quel autre (au moins la passion est là) et me voilà à passer une courte semaine à échanger des emails avec des gens réduits par mon inculture à l’appellation de “Chinois” pour au final, un vendredi, trois jours avant une réunion à 9500 km, cliquer sur un bouton validant la réservation d’un aller-retour Amsterdam-Taipei.

Mon idéal est brisé, les voyages lointains ne sont plus là pour être fantasmés, je me prends la claque de la mondialisation de plein fouet.

Avant ce 7 décembre, mon esprit romantique, pour qui le voyage a longtemps été inaccessible, se plaisait à penser que les voyages étaient l’exception. Mais désormais je travaille dans l’industrie de l’électronique et la mondialisation, je suis en plein dedans, je pense même naïvement pouvoir la rendre plus équitable. Dans ce monde parallèle du business, nul besoin de passe-droit pour rentrer en République de Chine, le graal: un simple passeport d’Europe occidentale, des empreintes digitales digitalisées, le sourire du garde frontière bien caché sous son masque en papier, un visage biométré ouvrant un sas et me voilà qui fait mes premiers pas sur une île dont j’ai connu le nom très jeune en retournant des gadgets électronique mais que je n’ai vraiment su placer sur une carte qu’il y a quelques semaines.

En cette période de Noël, j’ai le sentiment d’aller rendre visite aux petits lutins qui fabriquaient les jouets de mon enfance avant de les remettre au commis-voyageur barbu d’une marque de soda américaine passant l’hiver en Laponie (pas de traditions sans globalisation on dirait). Sauf que les lutins ne sont pas vêtus de costumes en feutre rouge et vert et ont remplacé leur bonnet par des masques contre la pollution. La seule chose qu’ils ont en commun avec ceux de mon imagination, c’est qu’ils ne sont pas bien grand. Dans leurs galeries souterraines, un métro on ne peut plus propre, moderne et discipliné,  je fais figure de géante du haut de mon mètre soixante-cinq. La petite brune française que je suis avait oublié ce sentiment de grandeur au milieu des grandes blondes hollandaises.

 

Me voilà à Taiwan et mon séjour n’est pas si insensé. Je suis là pour comprendre l’industrie de la téléphonie intelligente, l’expérimenter, en parler et qui sait, avec les connaissances accumulées, avortées de la cupidité, peut être un jour la faire changer.

En attendant, je continue mon survol de l’île mais dans un taxi, sur des autoroutes surélevées me menant à New Taipei City (sans doute ont ils inspirées les circuits Hot Wheels fabriqués par les petits lutins).

“Formosa “, “la belle”, n’est pour l’instant que béton et béton. La route est calme, personne ne klaxonne et les feux sont respectés. Rien à voir avec mes premières expériences de l’Asie il y a près de dix ans en Inde. C’en est presque triste. Mais à peine descendus de l’autoroute, enfin, la grande ville imaginée nous accule de ses immeubles gris rendus joyeux par des tubes fluorescents en forme d’idéogrammes. Plus joyeux encore, voilà Borjeanne (appelons le comme ça pour préserver son anonymat), mon collègue, qui nous accueille. Malin, il est arrivé la veille pour se mettre dans le rythme, se payer une coupe de cheveux au coiffeur du coin et surtout tester pour nous toutes les bizarreries de la gastronomie locale. Ce soir il nous emmène au Night Market, aller au Night Market à Taipei c’est un peu comme aller au Taj Mahal en Inde, une merveille pour se plonger dans la culture locale.

Passer le porche du marché vespéral en plein air c’est hubris de néons, hubris de gadgets superflus, de mode du prêt-à-jeter. Ça me rend un peu triste de voir le gâchis, dépassée aussi, d’avoir pris l’avion pour promouvoir un téléphone durable et faire face à la démesure de l’inutile où dans bien des cas le mot“déchet” pourrait sans transition être substitué à celui d’“objet”.

 

Mais ma boulimie d’exotisme me fera vite oublier l’indigestion, succombant aux saveurs des grillades marinées, des boulettes de poissons reconstituées, des omelettes comme des gaufres pyrogravé de chatons kawaii fourrés de pâte de haricots rouges.

 

Et puis ce qu’il y a de bien ici c’est  qu’on peut se goinfrer tranquille. Quatres européens dans un marché Taïwanais qui prennent des photos du moindre met, ça n’attire l’attention de personne. Indifférence peut être mêlée aux vapeurs et fumées qui s’échappent des bouillons et canards en fusions. Les enfants et ados sont trop occupées à parier sur leur adresse pour récolter une boule de poils synthétique. Les mini flippers s’alignent derrière d’autres jeux fastidieux. Manger, jouer, acheter : verbes des soirées dans les nights market.

Des verbes, des mots, cela manque à mon mandarin limité à “nihao” et “xiexie”.

Dans les taxi, les restaurants, nous nous découvrant des talents de mimes et de facilitateurs graphiques. Mimes, pour se faire expliquer la carte d’un petits restaurant d’un sombre boulevard. La gestuelle des représentations animals est universelle, le cochon représenté par son nez retroussé, le poulet par ses ailes battantes. Pour ce qui est de vous en sortir en taxi apprenez à représenter un avion pour l’aéroport, un temple si vous voulez en visiter un, des brochettes si vous voulez vous diriger vers un night market. Et surtout, n’ayez pas peur des malentendus et de la sérendipité, avec un peu de chance vous atterrirez dans un temple zen.

Heureusement avec mes homologues Taiwanais il n’était pas nécessaire de jouer à « dessiner c’est gagné » pendant les trois jours de workshop. Seule Vickie la directrice de projet Taiwanaise, décapuchonait les feutres pour nous tracer la carte de Taiwan au tableau blanc et nous dépeindre ses attraits touristiques. Son île, elle l’appelait “Sweet potato”, car en y regardant de haut, c’est vrai qu’elle a un peu une forme de patate douce. A l’Est elle représentait la chaîne de montagne qui faisait front contre des vents Pacifique.

Taipei était représenté par une patate dans la patate et des points indiqués les centres d’intérêts touristiques. Avec mes fellow Fairphoners, nous avons passé nos soirées, à bosser, beaucoup, mais aussi à déambuler au hasard sur des boulevards bordés d’immeubles en béton sans fioritures autres que des néons. Tombant à l’occasion sur des temples et des boutiques incongrues, rarement ouvertes.

 

 

 

 

 

De notre peu de temps libre avant de reprendre l’avion ils nous fallait suivre les recommandations de nos guides.

Direction les très autocratiques mémorials de Tchang Kai-Check et de son prédécesseur, père de la Chine dite moderne Sun Yat-sen. A l’intérieur de ces temples pharaoniques, les statues des dirigeants étaient gardées par de brillants militaires, brillants par leur tenue étincelante, pour le reste je ne sais pas. Relevée toutes les heures, la garde effectuait un tour de piste de pantomimes d’une précision sans commune mesure mais dont le caractère burlesque est un peu décevant quand on a vécu le cirque de la fermeture quotidienne de la Wagah border entre l’Inde et la Pakistan. Il est plein de préjugé de dire que les “chinois” se ressemblent tous, mais là quand même, les statues des deux dirigeants étaient identiques à un sourire prêt et je soupçonnais les Taiwanais d’avoir voulu faire des économies sur la mémoire de feu Tchang Kai-Check en utilisant une seconde fois le moule de San Yat-Sen.

Pour continuer dans la démesure notre court aperçu de Taipei nous avons pris la direction de la Taipei 101, qui fut jusqu’à il n’y a pas si longtemps le gratte ciel le plus haut du monde, ses plus haut étages pris dans les nuages.

 

A part dans ce quartier où les urbanistes avaient préférés la verticalité aux petits immeubles aux fenêtres obturées de grillage et d’air conditionnée, et où de larges routes et places offraient un horizon plus lointain que quelques dizaines de mètres, la ville paraissait très dense, minérale. A côté Amsterdam est un village verdoyant.


 

 

Alors le samedi nous nous sommes rendus sur la côte Nord Est pour découvrir la nature et des villes moins étalées. Le problème, on aurait dit que tout Taiwan avait eu la même idée.

Sur la route vers le Nord-Est, très vite Taipei se retrouve dans les collines, des montagnes recouvertes de palmiers et au bout de tout ça, le Pacifique dans son bleue turquoise légèrement grisonnant d’hiver et ses vagues qui viennent pousser des surfeurs sur de petites baies, ses petits ports avec leurs petits, mais nombreux, bateaux de pêche.

 

Si le regard traverse la route c’est pour y voir le fruit de cette pêche, un enchaînement de restaurants dont les façades sont remplacées par des murs d’aquariums desquels des crabes exotiques tentent de s’échapper, observés par leurs voisins poissons restant bouche bée. Ils savent qu’ils vont régaler les centaines de touristes qui vont passer se prendre en selfie devant l’un des rochers érodés qui font l’attrait du parc naturel géologique de Yehliu. Si ce site naturel a été façonné par la marée, c’est une autre marée, humaine, qui déferle désormais.

 

La foule, je ne m’attendais pas à la voir là en ce samedi pluvieux et elle m’a fait réaliser ce qu’il y a de réellement gênant dans le tourisme de masse. Ce n’est pas tellement aller tous au même endroit voir les même choses : c’est aller tous au même endroit faire les même choses, vivre les mêmes choses, faire les même selfies (et même faire la queue un long moment pour faire ce selfie en mode : “yeah I was there!”), habillé du même poncho jetable jaune. Le seule différence dans cette uniformité tenait dans la perche à selfie (objet bouc émissaire de mon aigritude, déjà maintes fois haïe dans d’autres posts de ce blog je sais), j’ai découvert qu’ils en existait un nombre incroyable de modèles.

2 commentaires pour “Taiwan – L’île patate

  1. c’était encore une découverte à faire , je suis sur que ce n’est pas ton genre ce pays par rapport à l’Inde et le Népal tu préfères les vastes contrées sauvages ,toujours est ‘il que tu écris merveilleusement bien avec toi on découvre vraiment la réalité des choses ,tu pourrais écrire au moins des nouvelles sinon plus tu es douée pour l’écriture gros bisous

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