Les grands espaces qui se méritent à force de coup de bâtons dans la caillasse, d’appuis maîtrisés sur des sentiers escarpés : la Nature sauvage, c’est elle que nous recherchions de part notre projet de randonnée. A cette grande dame, nous voulions poser beaucoup de questions, qu’est ce qui, chez elle, nous attire, quel trou dans nos aspirations profondes comble-t-elle ? jusqu’à quel point pouvons nous poussez notre désir de simplicité ?…
Ainsi nous avons décidé de partir de Samoëns en Haute-Savoie pour rejoindre Chamonix. En autonomie, en dormant au plus proche de l’immensité et se contentant de la nourriture que nos épaules voudraient bien supporter.
Alors un soir nous avons ouvert une carte IGN, nos doigts ont parcouru les lignes rouges, parfois noires qui faisaient le lien, jamais en ligne droite, entre ces deux villes. Grossièrement, nous avons compté les carrés et noté les altitudes pour en déduire les dénivelés. Nos étapes étaient plus ou moins décidées.
De Lyon, trois trains nous emmèneraient à Cluse . De là, un bus nous déposerait à Samoëns, le temps à nos préoccupations citadines de se perdre dans les combes du Bugey et du Jura.
La météo annoncée n’était pas fameuse mais peu importe. Nous voulions poser notre tente sur une pente et contempler, se contenter de peu, d’être à deux.
Mais nous n’arriverons jamais à Chamonix, nous raterons quelques bivouacs, nous rappelerons que l’autonomie se marie avec le renoncement et n’est pas toujours réussie. Tant mieux ?
Samoens
Le voyage commença vraiment quand le chauffeur du Cluse-Samoëns, au visage buriné, à la parole déliée, étonné de trouver deux “jeunes” enjoués pour la randonnée, nous raconta ses histoires de Savoyard. Des igloos construits dans les montagnes lorsqu’il baladait ses amis. Son “Didier“ qui n’était jamais reparti d’un alpage où il avait trouvé l’amour. La montagne aseptisée dans laquelle il n’était plus permis d’emmener n’importe qui.
Dans cette jolie petite station alpine, juste le temps de remplir nos gourdes et nous démarrions notre marche vers les hauteurs. Nous espérions y trouver une étendue verte où poser notre tente, à l’abris des regards, de la pollution lumineuse, du bruit des moteurs.
Nous n’avions pas de montre, juste le temps d’être pleinement présents.
Les premiers pas, sur le goudron du GR5 ne furent pas très engageants, peut-être même décourageants tant nos sacs, pourtant remplis du minimum vital, paraissaient lourds. Sans doute le fardeau de la vie sédentaire qui pesait encore sur nos épaules.
Le Crêt, un alpage, comme un tombeau anglo-saxon d’un chalet paysan à l’abandon, de son linceul de hautes herbes tendres, appelait nos instincts de campeurs. Mais nous voulions nous enfoncer un peu plus dans la montagne, loin de ce sentier fréquenté bien qu’escarpé. Sur cette Dalle du Tuet parfois patinée, il fallait se faire ou nain ou géant pour se sécuriser à l’aide des cordes fixes installées. Un trailer mit fin à nos efforts en nous déconseillant d’aller plus loin. Les Grands Bois, qui séparaient ce site d’escalade au refuge du Folly, n’e permettaient qu’à un dahut d’y planter une tente. Le refuge était à deux heures de marche et l’orage était annoncé. Mieux valait profiter du Crêt. Continuellement alimenté par une source, son abreuvoir, nous permettrait le luxe de nous laver au milieu d’orties. Nous aurions pu en faire une soupe, nous avons préféré le poulet tandori lyophilisé – première dérive de notre autonomie…
De nos 300m gagnés sur le plancher des aoûtiens, nous toisions alors Samoëns, pour la dernière fois. De l’aube au crépuscule, la thermodynamique des flancs de montagne fera s’élever l’humidité sur les falaises de la pointe du Tuet et celles de l’Aouille du Criou, là où nous nous dirigions pour monter au refuge de la Vogealle 1000 mètres plus haut.
Le Folly
Les premières heures de zigue-zagues dans les bois nous préservaient de la vue de la déconvenue météorologique de notre trek. Seul le tintinnabulement plus ou moins marqué des gouttes de pluie tombant sur les feuillus et épineux pouvait nous alerter.
Puis une gravure rupicole contemporaine indiqua “Dernier virage avant le refuge du Folly – smiley content”. Nous avions atteint l’altitude à laquelle les arbres ne se donnaient plus la peine de pousser et de repousser le brouillard. Le refuge était sur notre gauche à quelques dizaines de mètres à peine mais nous ne le voyions pas. Il fallut une lampe accrochée à son porche, que je pris d’abord pour la frontale d’un randonneur, pour nous indiquer le chemin. Par optimisme météorologique, sans doute issu de son origine Pas-De-Calaisienne , la gardienne alignait les transats avec une vue panoramique… sur la grisaille dense du brouillard.
D’origine pourtant commune, j’ai toutefois opté pour le confort intérieur de chalet, le temps d’un thé, le temps que le brouillard se lève. Quand enfin nous aperçûmes quelques chalets Septimontains*, nous nous levâmes pour poursuivre notre chemin. Mais le temps de remettre les sacs, ce n’était pas juste le brouillard qui nous enveloppa mais une sacrée averse dans laquelle nous passerions des heures.
Vers le lac de Vogealle.
Malgré tout, nous admirions l’exubérance des fleurs de montagnes qu’un diamantaire décroissant aurait orné de milles gouttes d’eau semblables à des joyaux.
Quelques lapiaz sortaient de terre et les eaux de pluie y continuaient leur travail de sculpture.
Les cloches des troupeaux d’alpage nous ramenaient à la vie dans cette ambiance apocalyptique. Les bêtes se camouflaient dans le brouillard. Nous, nous nous sentions misérables à la merci des éléments, alors qu’elles, n’en avaient rien à faire.
Nous arrivions au sommet de notre journée, à 2200 m, sur la combe aux Puaires, un plateau de lapiaz. Minéral, hostile avec ces nombreux gouffres et profondes fissures, la montagne sauvage comme je l’aime. Sans aucune visibilité, Romain et moi nous suivions de près pour ne pas nous perdre dans ce labyrinthe de cairns. Parfois la boussole était nécessaire pour nous éviter de tourner en rond et de devenir fous.
Puis le lac de Vogealle apparu dans la brumasse alors que nous entamons la descente sur la rampe de bouillasse.Il exhibait ses reflets de lumière, coups de projecteur sur les centaines de moutons ayant trouvé sur ces rives une plage estivale.
Le Bout du Monde
En contre bas du lac, un refuge, du même nom. “Surfait” pour des randonneurs ayant passé la journée sous la pluie et qui ne demandaient qu’une vulgaire cabane pour se réchauffer.
Mais mon véritable refuge sera la perspective sur le Bout du Monde, gorge creusée d’une centaine de cascades, la haute montagne à son plus haut point avec les glaciers du Mont Ruan, la montagne des aoûtiens en son fond avec d’autres glaciers, ce dont on se délecte en été. Bien que me défendant de toute bigoterie, je serais restée des heures assise près de la croix, observant le spectacle des nuages valsant sur les falaises, constatant que ce qu’on appelle l’inanimé est en réalité vivant et bien plus puissant que l’humanité.
En un rien de temps, le caprice du ciel se calma et la vue se dégagea. Je me serais endormie à la belle étoile sous cette toile de fond si elle n’avait pas été si abrupte.
Le lendemain les nuages avaient délaissé l’endroit nous permettant une descente revigorante au village de Sixt-Fer-à-Cheval.
Nous passâmes par le chalets des Borets, que j’aurais bien renommé chalet des “gorets”. Inaccessible aux carrosses mécaniques, il proposait pourtant une carte de glaces industrielles, un choix de bières et de vins auxquels bien des peuples de plaine ne peuvent pourtant accéder. Alors que mon livre de bivouac s’intitulait “Spiritual ecology, the cry of the Earth”, je me demandais s’il était nécessaire que des hélicoptères ravitaillent ses hauts lieux du tourisme en victuailles de choix. Si dans des régions comme le Ladakh, dans des villages isolés à plusieurs kilomètres du niveau de la mer, les habitants sont capables de fournir une nourriture simple et locale aux touristes de passage, pourquoi ne le pourrait-on pas, en France, s’offrir un peu de sobriété et d’humilité au déjeuner. La montagne, fragile réservoir de vie de l’espèce humaine, ne devrait-elle pas être une lieu préservé du consumérisme, un sanctuaire de simplicité ? Pendant que les touristes lèchent leur glace, celle des glaciers suisses se rétracte pour le dernier siècle qui lui reste à irriguer nos sols.
Hasard de mes réflexions ou prémonition, en redescendant vers le Fond de la Combe du Bout du Monde, nous avons croisé une vipère, reste à savoir vers quels aspects de la mythologie pencher pour en envisager une quelconque prophétie.
Avant de nous joindre au tourisme de masse, nous profitons d’une dalle vertigineuse, parfaite planche à découper le saucisson, pour le seul véritable pique-nique de notre trek.
Que la marche sera longue ensuite sur la piste du fond de combe et jusqu’à Sixt. Chargés de 55 litres d’attirail autonomistes, en chaussures de montagnard, les pantalons couverts de boue, nous sentirons notre démarche, au propre comme au figuré, presque absurde au milieux des enfants en sandales. A Sixt, les pieds usés d’avoir foulés le goudron, l’office de tourisme nous informa qu’il nous faudra faire 3 kilomètres pour rejoindre le seul emplacement autorisé aux bivouaqueurs. Autrement dit, “bivouaqueurs allez voir ailleurs, vos godasses ne nous rapportent rien, ici royaume de la voiture passez votre chemin”.
Encore une route, encore du goudron, ces satanées voitures qui montent à la cascade du Rouget. Toute cette frustration ravalée, pour finalement arriver sur un “point accueil jeune” infesté de souris, le Pont de Sales à Salvagny. Un habitué du coin nous prévient : “La semaine dernière des souris ont débarqué par centaine, elles ont grignoté ma tente, foutue j’ai du en racheter une.“. Des souris qui attaquent des campeurs, il se moque de nous ? Encore une légende comme celle des taupes des glaciers ? Il ne manquerait plus que ça. Par précaution, nous déplaçons notre tente, trop près de la poubelle, enfermons toute notre nourriture dans la boîte de l’extincteur du bloc sanitaire et finissons par nous endormir malgré tout.
Deux heures du matin, la folie me prend. Je me réveille en hurlant, quelque chose est passé sur mon visage, de ma main je l’ai frôlé. Je me dis que je suis vraiment perturbée. Romain se réveille et, bien qu’il affirme le contraire, me prend aussi pour une détraquée. Tremblante je cherche ma frontale, éclaire les recoins de la tente, le fond de mon duvet. Rien. J’explique à Romain que j’ai senti de petites griffes sur mon visage. Il soulève sacs et chaussures. Ça y est, je suis rassurée je ne suis pas tant dérangée, la souris et bien là et à la vue de nos têtes de somnambules, détale se cacher. Nous décidons de dormir à tour de rôle pour surveiller une nouvelle incursion. Alors que Romain s’était assoupi depuis quelques secondes, la revoilà qui pointe son museau. C’est décidé, nous allons sortir de cette tente, la remballer et aller dormir dans un abri aperçu sur la route.
La souris bondira du sac de Romain, dans lequel elle aura soulagé sa faim par bouchée de sac “Vieux Campeur” et ses besoins pour nous laisser enfin en paix.
Nous tenterons de finir notre nuit à un kilomètre de là, allongés par terre près d’une source abritée d’un toit, entourée de murs en bois, notre chalet de choix pour les vacances. Je suis réveillée par le bruit des arbres qui se plient, qui se tordent sous le vent. Nous sommes sous un orage. Ils n’étaient pas annoncés avant la mi-journée. Nous annulons donc notre ascension vers le désert de Platé. Il est 6h du matin, alors que nous attendons la fin du déluge, une voiture approche, se gare et un jeune homme vient recharger son bidon. C’est le même moniteur de colos qui nous avait prévenu pour les souris. Cette fois, sa tente à pris feu lorsque le vent a changé de direction lui renvoyant les flammes. Nous décidons de ne pas lui demander de nous déposer au village en voiture, cela nous semble plus prudent…
L’autonomie c’est fini. Nous passerons la journée tempétueuse et la nuit suivante au Gîte Etape de Salvagny, chaleureusement accueillis (à 7h30 du matin) par Christophe, le gérant qui nous ouvrira une chambre où nous récupérerons de notre abominable nuit.
Montée vers les Fiz par le col de Sales
Une relativement belle journée et annoncée. Après une soirée à tergiverser nous décidons de monter vers les Fiz, par un raccourci, par le col de Sales. Malgrè quelques éclaircies de foehn, le ciel ne sera jamais bleu mais la pluie et le brouillard seront absent une bonne partie de l’ascension. Se déversant dans le torrent de Sales comme les larmes de rage que nous avons retenus lors de nos déboires, les cascades, oniriques, sont nombreuses sur le sentier et attire les vacanciers en famille.
Mais, alors que la faim nous prend et qu’on nous décidons de faire une pause, le brouillard, dense, s’engouffre entre les falaises qui mènent de la pointe de Sales et celle de Perfia. A peine le temps d’enfiler la goretex et nous nous retrouvons de nouveau sans espoir d’apercevoir le plus grand désert de lapiaz d’Europe.
Nous patienterons toute l’après-midi au refuge de Sales avant de bénéficier d’une courte éclairci pour aller planter notre tente et finir au calme les quelques extraits de Walden, d’Henry-David Thoreau, éloge d’une vie simple proche de la nature. Celle que nous recherchons quelques semaines par an. Celle dans laquelle nous sommes plongés avec toutes ses difficultés.
Le lendemain, sous une pluie battante annoncée pour durer des jours et se transformer en neige, nous nous résignons à l’abandon. Si nous marchons bien, dans deux heures trente nous serons à Sixt-Fer-à-Cheval, prendrons le bus, puis deux ou trois trains, un metro et évoquerons les difficultés face à une nature qui ne fait pas de cadeau, même aux randonneurs les mieux équipés.
De toute façon, notre autonomie, à toujours moins de quelques heures de marche d’un refuge douillet n’était-elle pas qu’une imposture ?
dommage que la météo ait chamboulé vos projets de marche et bivouac, mais la nature décide de tout !!
vous aurez tout de même quelques anecdotes et rencontres animales (moutons, vipère, souris ……..^^) à mettre dans votre boîte à souvenirs
malgré le temps les photos restent superbes !!!
Génial quand même !