Contexte : suite du récit du trajet Leh – Zanskar
Comme imaginé, la nuit fut courte claquemurés dans notre étouffante chambre d’hôtel, d’autant que le jeune gérant ne vit pas de problème à nous réveiller en plein milieu avec ses “Sir please. Excuse me. Sir ?” pour nous faire signer l’habituel registre que connaissent par cœur les voyageurs du Sous-Continent.
Quelques heures après ce méfait, deux tout au plus, nos réveils sonnèrent, déjà.
Dans la nuit noire, alors que seuls les muezzins donnaient de la voix, Amy, Jean-Marie et nous, nous dirigeâmes vers le terrain vague servant de parking, tentant de ne pas marcher sur un chiot titubant, affamé, ou de nous faire mordre par leurs congénères moins accueillants.
Dans notre jeep, pas de chauffeur. Sur son toit, les bagages que nous avions laissé étaient toujours là. A l’arrière, nos compagnes de route zanskaries se partageant les banquettes avec une fillette. Nul doute que celles-ci avaient mieux dormi que nous.
Le chauffeur, lui, devait faire la grasse mat’. Il arriva, alors que Jean-Marie avait déjà fait les cents pas et que moults appels à la prière avaient résonné de toutes les directions. Si seulement les muezins avaient pu crier à Kargil “Le chauffeur de la jeep Toyota rouge est attendu par ses clients sur le parking. Merci”
La veille, nous avions quitté le Ladakh en traversant l’ambiance chromatique jaunâtre du désert. Aujourd’hui, nous retrouvions un peu de verdure dans la vallée de Suru. De parts et d’autres de cette rivière shiite scintillaient les minarets des mosqués et, sur de petites terrasses ou en bordure de route, flashaient des maisons aux couleurs brûlant nos yeux habitués à l’architecture brute et sobre des habitations Ladakhies.
Ces quelques kilomètres de route, on les aurait aimé moins parfaitement goudronnée, cela aurait freiné les ardeurs de conducteurs frustrés trop habitués aux postures crispées nécessaires à l’évitement des rochers, aux passages des gués et à l’amortissement des poulaillers creusés dans la terre aride.
Sur le parking du départ à Leh, un ami de notre chauffeur nous avait lancé un “this driver is crazy” et parfois nous aurions pu nous demander si ce que nous avions pris pour une blague n’était pas en fait un avertissement.
De check-point en check-point
Les pauses, imposées par la border security force, semblaient exagérément nombreuses pour des vallées si peu peuplées. Mais le frère ennemi Pakistanais nous toisait du haut de ses sommets et quelques “incidents”, c’est un euphémisme, avait éclaté il y a quelques années. Tant mieux pour nos jambes qui ne demandaient qu’à se déplier, nos dos qu’à s’étirer et nos yeux qu’à s’habituer à la blancheur des hauts sommets.
Car, pour les au-revoirs à la vallée, s’il était bien luné, le Nun et ses 7135 m enlevait son voile pour nous narguer de sa liberté, de son aisance à se déployer. Il nous savait nous enfoncer pour des heures sur un chemin enserré le longs de pentes pleines d’éboulis, coincé entre nos voisins sans grande possibilité de se délasser.
Dans cette vallée, inhabitée si ce n’est de marmottes obèses, nous croiserons seulement un groupe de cavaliers et cavalières ramenant leur troupeau d’équidés, le regards rieurs des femmes dépassant des niqab contrastant avec celui des hommes, sérieux, fermés et noirs.
Après des heures seuls au monde, au loin, des bâtisses se dessinent, c’est Rangdum. Les village est-il en construction, est-il en ruine ? Si les chantiers de maisons sont à l’arrêt, c’est sans doute qu’à cette saison le travail est auprès des pousses d’orges, auprès de prospères trekeurs mais non à remuer l’argile pour en faire l’adobe qui s’élévera en murs de guesthouse opportuniste.
Il est 10h du matin, nous nous y arrêtons pour la pause déjeuné. Non pas “petit-déjeuné”, car avec cette étape nous avons transigé, mais bien “déjeuné”, celui qu’on est censé ingurgiter au zenit. Des jeunes blasés servent notre chauffeur et les autres zanskarpas mais ne nous proposent rien. Sans doute ont ils trop l’habitude des touristes refusant tout ce qui sort de leurs fourneaux crasseux et imbibés d’épices.
Mais pour nous, ça fait parti du voyage alors on s’adapte : riz et dalh pour tout le monde ! Les plus gourmands ou les plus précautionneux craignant la fringale achèteront un assemblage de molécules chocolatés “Five Start“, semblant de barres au chocolat, car, le prochain repas il sera au Zanskar, peut être sept heures plus tard.
Après avoir piloté la jeep dans le lit asséchés de bras de rivière, nous arrivons au pied du monastère de Rangdum. Encore un checkpoint.
Le ballon de volley qui passait de part et d’autres des lignes de crêt, distrayant ainsi les militaires, retombe dans la poussière. Les gardiens du désert viennent nous ouvrir un nouveau registre aussi épais qu’inutile. Moins d’un quart de montre auparavant, nous avions inscrit nos noms sur les pages jaunies de volumes identiques. Les jeeps de locaux nous doublent mais me laissent le temps de m’énerver contre leurs occupants qui jettent les emballages de leurs friandises par la fenêtre. Mère Nature fera le ménage…
Derrière le piédestal du monastère, une large vallée s’étend. Un père et ses enfants sont assis dans de l’herbe telle que nous n’en avons jamais vu au Ladalkh. Le thermos de thé aux motifs fleuris, que possède au moins en 5 exemplaires chaque foyer ladakhi, est posé à leur côté, sans doute accompagné d’un peu de kolak dans la gamelle pour passer la faim. Le sacerdoce de cette famille : offrir de leur temps à leurs bêtes, à ces yacks aux poils noirs qui ont l’air aussi gominés que ceux de notre hôte à Kargil. Ceux-là, les yacks, doivent être les plus heureux des massifs transhimalayens.
La rivière, comme une continuation du ciel, étanche leur soif.
Plaine alluviale, comme un miroir offert aux bêtes pour qu’elles puissent ruminer en paix tout en observant les sommets.
Méandres sinueux, dont les galets s’entassent au fil des flots, au fil des heures de la journée, au fil de la fonte ou du re-gel des glaciers.
Ici, tourner la tête en direction du Pakistan c’est regarder l’inévitable : ces glaciers qui se rétractent étouffés par un amas de particules noires. Leurs eaux, dont le cycle désormais erratique, ne seront plus si fécondes dans ces vallées pourtant déjà sobres.
Un dernier col avant le Zanskar
“Drang drung” son nom résonne comme un glas.
“Drang drung“, claquement d’une langue de glace usée par quelques dizaines d’années à s’épuiser contre quelques degrés superflus.
Nous venons de passer le Pensi La, dernier col à 4400m. Ses zig-zag se jettent dans la marre de fonte du Drang Drung dont les eaux iront rejoindre celles de la rivière Stod. Cette rivière, nous allons la suivre sans réfléchir jusqu’à tomber sur une petite nonnerie surplombant un village : Tungri.
L’entrée dans cette vallée est éprouvante pour notre chauffeur qui doit passer à gué la rivière avec délicatesse. Devant nous, une minuscule voiture, “pot de yaourt” comme on dirait par chez nous, a tenté le gué mais a échoué son pari, elle a accroché sa direction qui doit impérativement être réparée. Sur la route du Zanskar, hors de question de passer sans porter secours. Voilà donc notre chauffeur allongé sous la caisse avec ses outils jusqu’à ce que la petite automobile puisse redémarrer.
C’est ensuite un petit camion qui se trouve en difficulté. De plus, l’assistant du conducteur a une rage de dent et repérant les “trousses à pharmacie sur pattes” que nous sommes vient quémander des antibiotiques. Nous avons beau lui dire que c’est inutile il nous affirme le contraire, nous cédons espérant que le pauvre aura au moins le droit à l’effet placebo.
Les faces rocheuses se font un peu plus linéaires, elles se marbrent de terre et végétaux, puis la vallée s’élargit incroyablement.
Comme dans les vieux films, j’ai l’impression que nous roulons des heures avec le même paysage un peu terne qui passe en boucle.
Mais les premiers troupeaux refont leur apparition, les murs recouverts de chaux apparaissent au loin. Nous demandons sans cesse à l’étudiant zanskarpa nous accompagnant si Tungri est encore loin, lui descendra au village suivant.
Puis, quittant la ligne droite que nous traçons depuis des heures, le chauffeur s’engage sur le pont de ferraille menant à Tungri. Nos bagages sont déchargées face à une petite école. Un vieil homme nous observe adossé à un moulin à prière. Il nous indique le raccourci pour monter à la nonnerie.
Avec nos 25 kilo sur les épaules, une dame nous lance quelques phrases, sans un sourire ou un “juley” préalable. Qui sont ses étrangers qui rodent ? doit-elle se dire. La jeune fille qui l’accompagnait, plus enjouée nous traduit en quelques mots d’anglais. Qui sommes nous ? que faisons nous ici? Où allons nous ?
La barrière du langage est un mur qui nous sera plus infranchissable qu’imaginé.
En attendant, fatigués et ne sachant à quoi nous attendre (nous n’avions pu réussir à joindre Caroline ou Gatouk, ancien chef du village, pour confirmer la date de notre arrivée) nous gravissons un sentier direction une nonnerie qui nous a l’air bien calme…
A venir : Tungri, aventures et mésaventures, grand bonheur et grande déception
je pense, mais c’est juste mon opinion, que ces trajets si compliqués font partie du voyage, s’ils n’existaient pas ça aurait moins de « charme », enfin si on peut appeler ça comme ça ……………..^^
dommage, il n’y a pas de photos de yaks gominés ……….
hâte de lire la suite !!!