Contexte
Un nouveau voyage indien, en grande partie au Ladakh, vient de se terminer. Je reviens avec de nombreux sujets sur lesquels disserter mais qui vont nécessiter à mon esprit, encore une fois chamboulé, beaucoup de recul.
Je recommence donc à prendre le cours de ce blog laissé à l’abandon entre deux, trop éloignés, voyages en Himalaya, avec le récit de séjours dans les villages ladakhis qui se sont révélés surprenants, touchants et enrichissant. Je commence donc mon “roman” avec le village de Tia.
Le trek avait commencé depuis plusieurs jours déjà. Après une nuit qu’un début de gros rhume avait rendue peu propice au repos, la marche du jour fut néanmoins très accessible.
Je dois avouer avoir été frustrée par les courtes journées de marche de ce trek, pas assez sportif à mon goût bien que je ne renie pas l’effort certain à fournir pour passer certains cols.
Cependant, ces brefs efforts sportifs avaient l’immense avantage de nous laisser le temps de divaguer dans les villages traversés, de nous cultiver en y observant la vie quotidienne en discutant avec notre guide et surtout d’y vivre notre lot de surprises.
Ang – Tingmosgang – Tia
En ce lundi, nous nous étions mis en route sur le rythme des salutations des écoliers nous dépassant en bus, tout sérieux dans leur uniforme et qui ne ressemblaient en rien à la bande de gamins espiègles venus la veille passer leur temps et leur curiosité sur notre campement.
Nous traversâmes Tingmosgang, village dont l’architecture très ancienne matérialisée par de vieilles maisons de pierre aux fenêtres très étroites, se mariait sans faute de goût avec les bâtisses récentes toujours construites dans un style traditionnel.
Pour rejoindre le village de Tia, lieu de notre halte du jour, nous dûmes gravir une colline délimitant les deux villages et sur laquelle s’imposait un grand monastère partagé entre deux traditions du boudhisme Tibétain, les sakyapas (bonnets rouges) et les gelupas (bonnets jaunes, “secte” de sa sainteté le Dalai Lama). Plutôt rare, et jusqu’alors non observé parmi le grand nombre de monastères visités, un grand amphithéatre était posé en bordure du lieu saint. Utilisé lors des festivals locaux tels que les danses des masques, il nous offrait une grandiose aire de pause casse-croute.
Le monastère de Tingmosgang est entouré des ruines d’un chateau fort dont seuls quelques pans de mur et bribes de tours de garde demeurent encore. Détruit lors de l’invasion turco-mongole du 16e siècle, ils survivent encore au temps et aux conditions climatiques extrèmes de la région.
Protégé du temps et des conditions extrèmes, un puit, réserve d’eau du chateau, était encore en état, visible, et partiellement visitable pour les plus téméraires souhaitant s’engager dans ses tréfonds. Il venait d’être mis à jour par des travaux de voirie.
Descendus de la colline, laissant les drapeaux à prière claquer au vent derrière nous, nous traversâmes la partie la plus récente et la plus cultivable de Tia constitué de terrains agricoles ombragés disposés sur des plateaux traversés par un maillage de canaux d’irrigation dont la verdure des champs attestait de la parfaite conception.
Notre traversée du village fût stoppée par ce que nous avions en premier lieu pris pour une fête. Un rassemblement d’habitants, toutes générations confondues attira notre attention. Traversant l’attroupement, passant devant ce qui ressemblait à un stand de fête de quartier ,nous nous sommes vus spontanément offrir une assiette de riz agrémentée de fruits secs. Cela combla nos estomacs qui attendaient avec impatience le repas préparé par Dawa, notre cuisto.Nos esprits, eux, n’étaient pas rassasiés et se demandaient tout de même quelle était la vraie raison d’un tel événement.
Rigzin, notre guide, nous indiqua qu’il s’agissait en fait d’un agape en l’honeur de funérailles.
Quelques jours plus tard, de retour à Delhi, nous croiserions d’autres funérailles, au ton moins sobre, plus négatif, les pleureuses massées derrières un brancard porté par les hommes emmenant la dépouille…
Arrivés à notre campement du jour, un terrain agricole laissé vacant en cette fin de saison des récoltes, après une courte sieste au soleil nous partîmes dégourdir nos jambes qui n’en n’avaient pas assez de parcourir les sentiers du Sham, laissant Rigzin continuer sa sieste.
Orientant nos pas au hasard nous gravîmes une colline de laquelle s’offrait une vue que nous n’imaginions pas trouver là, celle du vieux village de Tia. Perché sur son éperon rocheux, il me fit penser au village moyenageux de Corde-Sur-Ciel, l’un des plus beau village de France. Nos pas allaient alors être guidés par la vue de ce mirage inattendu.
A la découverte du vieux Tia
L’attitude des Ladakhis vis à vis des animaux, que nous pûmes observer à l’occasion de cette ballade, nous étonna tant les comportements pouvaient être oposés d’une personne à une autre. Nous avons tant été attendri par la dame nourissant les derniers veaux de la famille que choqué par la violence avec laquelle une agricultrice lança des pierres sur dzo et dzomo paissant librement sur sa parcelle de terrain.
Mais d’une façon générale je suis convaincue que la culture boudhiste des Ladakhis les enjoints à la douceur envers leur bêtes. Les conversations avec Rigzin appuyant ce ressenti.
Arrivant en bas des pentes du village, ce fut à notre tour d’apporter un peu de douceur à ces êtres de monde inférieurs (selon la pensée boudhiste) en leur offrant les restes de pommes grappillees dans le champ de notre hote. Ce qui sucita des sourires amusés de quelques habitants qui nous observaient alors en toute discrétion, cachés derrière leurs masures.
Nous gravimes le village dont certaines ruelles s’apparentaient plus à des voies d’escalade, faciles, qu’à des espaces de circulation urbains. Les habitants que nous croisions nous saluaient tous de “juley*” (*bonjour) enjoués et accueillants. La vue sur la vallée et les montagnes était apaisante.
Rencontres
De plus, quel drôle de moment nous passâmes lorsque nous tombîmes sur le “clown” du village, une dame d’un certain âge ne manquant pas d’entrain et qui réussi à me faire rire aux larmes tant la situation était cocasse.
Alors que Lucie, ma soeur, arrivait toute essouflée à l’apogée du village, elle croisa cette dame qui se mit à converser avec nous, en Ladakhi, avec un large sourire. Puis la voilà qui se mit à jouer au mime, elle posa ses poings fermés sur les hanches, se courba et se mit à imiter l’essouflement de Lucie, exagérant fortement le mouvement de la cage thoracique, le son de l’essouflement et se mettant à rire de bon coeur. Elle réitéra son numéro à plusieurs reprises et le comique de répétition fit son effet. Jamais je n’aurais imaginé rire autant avec une personne dont je ne comprenais rien au langage, du moins verbal.
Séchant nos belles larmes et continuant notre errance, curieuse, dans le village, alors que vous observiions dzo et dzomos entre l’espace laissé à la vue par les chörtens, une seconde rencontre marqua notre journée.
Un viel homme vint s’assoir à côté de nous. Prolixe, il ne cessa de nous parler dans une langue dont nous mîmes du temps à discerner qu’il s’agissait du hindi. Nombre de personnes âgées, lorsqu’elles croisent des étrangers tentent, vainement, leur chance en hindi.
Qu’importe, l’échange semblait lui apporter beaucoup de plaisir. Puis d’un bond il se leva, continuant à baragouiner. Nous finîmes par comprendre qu’il nous proposait de le suivre pour nous offrir un thé.
Il était déjà tard et, étant partis de notre camp sans nos frontales nous hésitâmes un temps, de peur de devoir retrouver notre chemin dans le noir. Mais l’occasion d’un bel échange était trop belle et nous sautâmes sur l’occasion, nous laissant une demi-heure pour prendre congès et revenir sur nos pas. Le vie homme nous entraîna dans de nouvelles ruelles escarpées, contournant par la gauche les chörten, avec l’agilité qu’on peut louer à un si viel homme.
Quel ne fut pas notre émerveillement lorsqu’il ouvrit la porte de son “studio” doté d’un panorama incroyable sur la ville basse et les sommets enneigés de la chaîne du Ladakh.
Nous nous instalâmes sur des tapis disposés autour de tables basses en bois. Durant ce temps, il ne cessa de converser, à sens unique, avec nous.
Il préparait le thé avec délicatesse, prenant soin de rincer les tasses à l’eau claire, bien que cet effort fût gâché par la couche de crasse recouvrant ses mains et qui profitait de l’occasion pour migrer vers nos récipients.
Après nous avoir servi, il s’offrit le même plaisir mais le corsa un peu avec un fond de tasse rempli de beurre on ne peut plus rance. Nous nous avouâmes heureux de ne pas avoir bénéficié du même traitement de faveur.
Romain, mon copain, profita du bel instant pour sortir son polaroïd. Il offrit la photo à cet homme qui le remerçia en s’exclamant “je n’en ai jamais vu de pareille!”* (*propos traduits plus tard par notre guide dans une vidéo qui avait été prise par ma soeur). Puis la posa sur son étagère de bric et de broc.
Au cours de son monologue, mes maigres notions de hindi m’ont permis de comprendre qu’il souhaitait nous inviter à dîner. Mais alors que je connais le vocabulaire j’ai été incapable de ressortir une phrase lui expliquant que la nuit tombant nous devions repartir à notre camp.
Comprenant malgrè tout que nous devions partir il insista pour que nous le suivions sur son toit. En fait, il tenait à nous montrer une petite mais non moins riche salle de prière, sa fierté, celle du vieux village peut être dont il se faisait le gardien.
Nous le quitâmes, nous pas sans émotion, pour retrouver Rigzin qui était parti à notre recherche s’inquiétant que nous ne soyons pas de retour au camp.
Archéologie
Sur le chemin du retour, une nouvelle surprise nous attendait. Archéologique cette fois. Nous tombâmes sur des blocs de pierre sculptés à l’éffigie de Boudha et datant du grand empereur Maurya : Ashoka ( – 200 avant JC). Rigzin n’avait pas connaissance de la présence de tels trésors dans ce village. Observant notre intérêt pour ces sculptures, une habitante vint à notre rencontre et nous attira sur le terrain attenant à sa maison. Là encore ces incroyables sculptures plus deux fois millénaire firent notre bonheur et conclure notre journée de découverte.