Contexte :
En 2016, Romain et moi avons passé 3 mois au Ladakh. Juillet au Changtang, Aout au Zanskar et septembre à marcher jusqu’au Spiti. Cet article décrit une partie de la route empruntée pour nous rendre au Zanskar. J’écris surtout à titre d’archive perso car personne ne lit ces histoires
Jusqu’au Zanskar, nous souhaitions cheminer doucement, avec les gens du cru. Alors nous avons choisi le bus local, le Leh – Padum en deux jours avec arrêt à Kargil, chef-lieu du district du même nom. Territoire shiite enclavé dans un monde boudhiste.
Alors, profitant de notre halte pour quelques jours à Leh,nous avons suivi les conseils de notre ami Rigzin “from Zanskar” et nous sommes rendus à la New Bus Station pour en connaître le jour de départ et réserver un siège.
Mais, que ce soit le chef de station patibulaire ou les gérants d’une compagnie de bus privée, personne ne pouvait nous dire quand l’unique bus de transport public faisant la liaison Leh-Zanskar partirait. Car, encore fallaient ils qu’ils sachent quand il reviendrait de cette vallée.
La réponse la plus précise à notre question, et qui coulait de sens pour nos interlocuteurs, était “Quand il sera rempli pardi !”. Ainsi, en cette saison où les Zanskaris travaillent aux champs et ne voyagent pas vers Leh il fallait être patients.
Mais l’impatience de rejoindre les semeuses de joie dans notre monastères du Zanskar était plus forte. Méprisant alors notre velléité à prendre un onéreux peu écologique véhicule privé, nous avons opté pour un shared-taxi, jeep jamais over-bookée mais extrêmement bien optimisée.
Sereins, habitués à l’abondance et aux désirs facilement comblés, nous voilà de nouveau à la New Bus Station, ou plutôt sur le terrain de poussière voisin, certains que nous allions trouver un taxi pour le lendemain.
Là encore, notre insolente confiance n’a fait que la mordre cette poussière. Charger nos bagages sur la galerie d’une jeep pour partir pour de longues journées d’aventure carrossées n’était pas si ne fut pas si spontané.
Il fallait vaguer et scruter les pare-brises sur le parking au cas où un chauffeur y aurait déposé une missive à l’adresse des voyageurs “Leaving for Zanskar – date – phone number”.
Mais, en août 2016, le parking ne laissait pas vraiment l’embarras du choix.
Si, de façon générale, en août” les touristes helvètes s’accaparent les jeeps et laissent les autres se battre pour une place dans un coffre transformé en banquette d’appoint, en 2016 des batailles bien plus sérieuses avaient lieux dans le district voisin, le Cachemire, et réduisait les services touristiques.
“Cachemire unrest“ – suite à l’assassinat par les forces de sécurité indiennes d’un jeune militant séparatiste Cashemiri, des manifestations ont éclaté, un couvre-feu décrété, les routes bloquées et les morts comptés. Les chauffeurs de jeep venant pour beaucoup du Cachemire y étaient donc bloqués*.
Ainsi il nous aura fallu longtemps traîner nos tongs dans la terre volatile pour trouver un taxi qui nous emmènerait pour un tarif non négociable, 800 INR (30€), à Tungri.
Ironie du sort, alors que, deux jours plus tard, nous nous déshydrations dans notre jeep en attendant que le chauffeur et ses amis parviennent à charger toutes les bagages sur le toit, nous vîmes débarquer le vieux bus poussiéreux plein de zanskaris quittant leurs sièges se levant avec alacrité.
Abricots secs et promiscuité : au revoir Leh
Il fallait aimer le contact humain dans notre taxi bien rempli. Celui-ci ne serait pas parti si une seule de ses banquettes laissait assez d’espace pour de fines hanches zanskaries.
Nous étions neuf, en plus de notre jeune chauffeur.
Des étudiants zanskaris rentrant de Jammu pour la trêve estivale, des dames allant retrouver leur famille au village avec leurs jeunes enfants et quelques voyageurs comme nous. Amy, une japonaise voyageait seule direction Padum, elle déciderait sur place de la vallée vers laquelle elle s’engagerait. Jean-Marie, franco-suisse babillard, se rendait à Phuktal pour le compte de “Hope”, association du célèbre photographe Olivier Follmi. Il y supervisera le chantier de construction d’une école. Mais pour lui, deux autres journées de route et de marche seront encore nécessaire car la terre puis les flots ont semé le chaos, décrochant ponts et goudron (si tant est qu’il y en avait sur la route).
Durant les premières dizaines de kilomètres la chaleur du désert nous oppressait presque autant que nous étions serrés. Mais, passé “Magnetic hill” (la montagne qui attire les voitures des conducteurs qui auraient oublié de serrer leur frein à main) et la confluence Indus-Zanskar, la vallée des abricotiers, le Sham, nous soulagea de sa concentration de verdure. Un plaisir rare dont il faut être pleinement conscient quand on craint l’uniformité des ergs.
Des fruits secs, ou juteux à point, s’entassaient dans les boutiques de tôle en bordure de route ou dans des sacs plastiques que nous tendaient avec insistances les villageoises. Elles profitaient de la migration saisonnière des touristes pour se gratifier de quelques roupies supplémentaires en leur vendant une production réputée dans tout le Jammu et Cachemire tat. Et elles avaient raison d’insister, un trekeur qui viendrait avec son sachet d’abricots de supermarché passerait à côté d’une partie de son voyage.
Ainsi, au redémarrage notre jeep était chargée d’une dizaine de kilos supplémentaires et chacun y allait de son sac rempli de fruits qu’il faisait circuler de banquette en banquette. Un véritable troc fruitier engagea alors les échanges entre passagers jusqu’alors discrets jusqu’au paysages plus lunaire de Moon Land.
Pour parfaire cette ambiance chaleureuse, le soleil s’avachissait entre les sommets de ces déserts acérés. Après la traversée de paysages lunaires, le célèbre monastère de Lamayru nous apparut dressé sur d’imposantes cheminées de fées. Les rayons rasants du soleil permettait à sa chaux un peu défraîchie de faire resplendir le plus ancien des monastères tibétains du Ladakh et de faire oublier ses alentours dénaturés.
Sur les montagnes, les dentelles et sommets, ciselés d’une main d’un maître millénaire, se projetait la lumière crépusculaire. Ses teintes incroyables, rosées et orangées dans ce paysage uniforme me transportait dans le bonheur. Mais impermanent, il s’estompa rapidement pour faire place à la nuit noire, à l’ennui et à l’appréhension.
A l’approche de Mulbek, éclairé par les astres, je cru distinguer la célèbre statue de boudha maitreya* taillée à même une falaise. Je perdis une occasion de me taire et le fit remarquer à un Romain dubitatif. Il ne manqua pas de me charrier sur la route du retour quand, en plein jour, nous découvrîmes que mon Boudha n’était qu’une falaise naturellement façonnée de nombreux ressauts et de blocs proéminents. Notre compagne de voyage d’alors, une retraité suisse, était néanmoins d’accord avec moi quant au fait qu’il aurait pu s’agir d’une statue sculptée par un Picasso tibétain tant le rocher était anthropomorphe.
L’enthousiasme allié à un esprit rêveur se fait magicien et transforme la nature en chef d’oeuvre culturel.
La chape de la route qui allait en se détériorant demanda à notre chauffeur de redoubler de vigilance et à nous de redoubler de patience.
Nous sommes arrivés à Kargil alors que la nuit avait pris ses quartiers depuis longtemps. Mais notre nuit à nous, n’était pas tout à fait prête de commencer. Alors que la bonne centaine de milliers d’habitants ville dormait déjà, il nous fallait trouver un hôtel. Le chauffeur nous proposa son aide (sans doute parce que notre ami Rigzin l’avait sermonné pour qu’il prenne soin de nous) mais c’était sans compter sur la bonhomie de Jean-Marie qui, ayant déjà fait le trajet plusieurs fois, avait un bon plan à nous proposer. Avec Amy, nous le suivâmes et nous enfonçâmes en toute confiance dans le Main Bazar.
Mais le main bazar de nuit, avec ses enseignes éteintes est un couloir lugubre entre des assemblages de ferrailles et de bétons sur lesquels s’agrippent de branlants escaliers en colimaçon.
Penser y retrouver ses repères était une gageure. Nous allions et venions donc dans cette rue, dans ces passages, jusqu’à ce que la mémoire revienne à Jean-Marie. Puis dans un sursaut de lucidité vespérale, il retrouva le petit escalier qui menait à l’hôtel. Il ressemblait à la fin d’une partie de Tétris d’un mauvais joueur, un empilement de chambres avec juste l’espace nécessaire pour faire passer un escalier, nous ne tenions pas à 5 sur le palier de notre chambre.
A l’accueil, un simple bureau, vide, mais qui prenait toute la place et par dessus lequel il fallait passer pour pouvoir s’y attabler. Personne pour nous accueillir.
Voisin de palier du loueur de sommeil, un barbier surpris de nous voir là à cette heure se démena pour nous trouver le logeur, un jeune homme élégant avec ses cheveux noirs mi longs qui, gominés, reflétait les lueurs des derniers lampadaires de Kargil. Avec le plus grand des sourires, amusé, il nous fit comprendre qu’il n’avait plus qu’une chambre pour deux personnes. Son anglais laconique nous compliqua la négociation visant à lui demander de nous trouver deux matelas d’appoint à caler quelque part au pied du lit double.
Ainsi, pour 3€ par personne, chaque centimètre carré de moquette était optimisé. Il ne me restait plus qu’à espérer que Jean-Marie ne ronfla pas comme un yack.
Sans savoir si nous allions trouver de quoi manger sur la route le lendemain et malgré la très courte nuit qui nous attendait nous nous aventurâmes à chercher un restaurant. Notre dévolu fut jeté sur le “Las Vegas Restaurant” mais, n’imaginez pas que nous y ayons trouvé des burgers et du coca. D’autant, qu’à cette heure tardive, serveurs et cuisto n’étaient plus aux fourneaux mais semblaient depuis longtemps passés à l’apéro. Mais même alcoolisés, ceux là avaient un grand sens de l’hospitalité. Ils se remirent à l’oeuvre pour nous proposer un plat complet, mouton, légumes et riz, “very very spicy”quoi qu’ils en disent.
On était loin du Kargil que j’imaginais, hébété par la lecture du site de l’ambassade de France en Inde déconseillant strictement les séjours dans cette ville située aux abords de la LOC “Ligne Of Control” à dix bornes de l’ennemi d’un demi siècle : le pays des purs. J’imaginais une ville glauques avec ses portraits de mollahs, ses habitants austères, sa pauvreté et son chaos tels que décrits dans les journaux trouvés à Leh. Alors certe une ville ne peut pas être jugée après y avoir passé quelques heures en pleine nuit mais au visage inquisiteur des portraits de l’ayatollah Khomeini répondaient les sourires accueillant de la jeunesse.
Le récit de la suite du voyage bientôt…
* bien sur la gestion inadmissible des droits de l’Homme dans ce énième conflit Cachemiri n’a pas fait grand bruit en France qui négociait la vente de ses avions de chasse qui, comme le jour même de notre retour, pourraient bombarder la frontière Pakistanaise sous le prétexte à la mode de bataille contre la terreur.
je vois que les déplacements sont toujours aussi compliqués mais permettent de belles rencontres dans des paysages toujours aussi époustouflants !!
ps : perso, même si je ne laisse pas de commentaires à chaque fois, je lis tes articles qui m’épatent toujours autant, tant de part le récit que de l’écriture