Frappée d’une barre d’eau en pleine nuque, aveuglée de sel, boire la tasse à en vomir, je n’ai pas fait naufrage au Costa Rica accrochée aux mangroves un jour de grande marrée. Non, j’y ai juste découvert le « flow », le vrai, celui qu’il faut ressentir, avec lequel il faut naturellement valser, ne faire qu’un, le roulis sur lequel on apprend à se laisser aller. Celui sur lequel on aimerait glisser au quotidien : une plénitude, un sain flottement. Le flow enseigné par la pratique du surf.
Ce flow que j’ai appris, ce n’est pas tant celui associé aux sensations de glisse, mais celui mis en concept par Mihály Csíkszentmihályi. Cette joie de se consacrer pleinement, mentalement comme physiquement à quelque chose, ce flow qui fait des moments d’attentes non pas des vides à combler mais des moments dont il faut profiter.
En surfant, j’ai découvert le plaisir d’attendre, d’attendre parfois longtemps une vague à ma hauteur, pas trop grosse, et plonger dans le remouds des autres, les éviter alors qu’on nous bassine à longueur d’année à » dépasser notre zone de confort ». Pour moi, surfer fut reconnaître et respecter cette vaguelette de confort, se ravir de ses limites.
Une vague prise sans humilité tordra le cou du téméraire et s’il le faut lui retournera la planche au visage pour bien lui faire comprendre qu’il n’y a pas d’égo de surfeur du dimanche qui vaille sur les plages sauvages du Pacifique.
Et profiter de ce temps pour ressentir le flow, profiter de ces instants de flottement pour programmer chacun des gestes. Quand la vague tant escomptée arrive : pagayer, doucement, mais sûrement. Enfoncer le bras tendu, les doigts serrés, le plus loin possible vers l’avant et vers le fond. La vague est sur le point de nous porter : accélérer le mouvement. Le nose se plaque dans la pente il est temps de pousser sur les bras pour le take-off, les pieds parallèles au centre de la planche, les genoux pliés comme pour éviter un escadron de pélicans et profiter quelques secondes de glisse récompensant le détachement et la concentration assimilés à chacun des aller-retour de la grève à l’océan.
Le flottement pour prendre pleine conscience de l’instant présent, voilà une association lexicale des plus paradoxales.
Il donne le temps de préparer à l’évanescent. Un instant d’inattention et les pieds se désolidarisent de la planche, sans laisser de seconde chance. La vague s’est déjà dissipée. Le cycle de l’eau prêt à recommencer. Lunatique, la vague ? Évidemment, et bien plus qu’on ne le pense. La lune et le vent en font des lames versatiles qui se déploient sagement et qui peuvent en quelques minutes transformer l’aire de glisse cyclique en un fracas chaotique.
Comme nous les pélicans alignés sur la line-up, ou dans leur formation aérienne, reconnaissables de loin à leurs ailes au profil de boomerang , observent les vagues. Ils espèrent s’en mettre plein la poche, celle de leur bec.
Insensibles aux haut-le-cœur, ils la remplissent de poissons frais pendant que mon estomac, après deux heures de surf a tendance à se rétracter, de trop d’eau salés ou un mal de mer prolongé ? no lo sé…
Nul ne sait si mon oreille interne me faisait défaut mais ce qui est sur c’est qu’après des heures de gifles faites de trombes d’eau, l’oreille superficielle, elle, me rendait sourd comme un pot. Alors, sur la route du retour, un bras, trop court, se crispait à lover la planche alors que l’autre secouait mes lobes pour tenter de les vidanger et etre en mesure de faire la conversation à mes jeunes coach Costa Ricien. Ces pauvres Jorge et Marco, à coté de touristes comme moi, au t-shirt trop large détrempé dont le fluo contrastait avec les grosses jambes, blanches d’un coté rouges de l’autre, devaient avoir l’impression d’avoir raté leur vocation de surfeurs promis à toutes les beautés des plages.
A la place, ils barbotaient des heures dans le Pacifique, un bob sur la tête, arborant le white-face de créme solaire caractéristiques des surfeurs (qu’il ne faut pas prendre pour une provocation raciste anti-européen du Nord), scandant à s’en lasser : « aligne les pieds », « plie les genoux », « passe sous la vague », « pagaye plus fort » .
A la place, ils avaient comme compagnie une française émigrée plus au Nord qu’ils n’iront jamais surfer et un bien en chair Texan, retraité de chez Total. La totale j’ai envie de dire.
Heureusement, sur la plage, pourtant l’une des plus accessibles de ce coté de la péninsule de Nicoya, il n’y avait personne pour moquer les quelques migrants touristiques de début de saisons, leur corps flageolants et leurs fesses des mers du Nord qui, malgré le ciel couvert, grillaient ridiculement sur de large planche en mousse rose.
Avoir honte de sa peau laiteuse n’était pas le plus grand des dangers sur les plages Costariciennes.
Croyez le ou non, le danger pouvait venir des arbres. Non pas d’un pumas qui, de sa branche, attendrait que de frais touristes finissent grillés à point par le soleil, mais bien des arbres eux même. Le Costa-Rica cachait, sous son maquillage de paradis, un nombre incroyable de d’embêtements dont le touriste non renseigné ne se méfierait jamais.
Sur la Playa Conchal, par exemple, il y avait ces arbres qui s’épanchaient sur la plage pour nous attirer sous leurs branches torsadées, havre de fraîcheur. Mais « El árbol de Manzanillo », l’arbre le plus toxique du monde, sous ces airs inoffensifs, pouvait davantage brûler la peau de quiconque s’y frottait qu’un soleil de midi équatorial.
Sur certaines plages des panneaux avertissaient les plagistes, mais plus souvent , c’étaient ceux où étaient dessinés des tortues marines prévenant le promeneur qu’il marchait sans doute sur des œufs qui attiraient l’œil et attisaient l’engouement des naturalistes du dimanche comme moi.
Qui, à la vue d’une coquille d’œuf, aurait pu verser sa petite larme autre que moi ? A Playa Mina, rassemblés dans le creux d’ornières de sable, se trouvaient des dizaines de coquilles blanches desquelles de petites tortues avaient dû, l’une de ces nuits, faire la course à la marrée, instinctivement attirées par le sein océan de mère nature. Imaginer cette fuite vers l’avant, à bon escient, pour la survie de l’espèce, aurait pu me donner la chair de poule s’il n’avait pas fait si chaud.
Mais, certaines avaient sans doute fini dans l’estomac d’un ami, un ami coati, venu animer notre fin de pique-nique dominical. Croquignolet Costa Ricien à part entière, un coati reclus de son groupe, venait nous renifler les restes de tortilla, de guacamole et de camembert Costa Ricien, tentant de nous amadouer avec ces petites billes noires et son amusant museau. Lassé de notre trop plein d’intérêt, il repartira dans son arbre guetter la naissance d’un festin, de croquants reptiliens.
En tous cas, il ne semblait absolument pas importuné par le passage de quelques 4×4 dont certains s’embourbaient à la moindre négligence.
Drôle de carte postale que de ces plages incroyablement sauvages, sur lesquelles roulaient ces gros engins, mais au Costa Rica, les cotes sont loin, très loin de tout urbanisme et la route pan-américaine ne fait pas de détour vers la plage.
Il faut traverser la jungle qui s’étend jusqu’au sables les moins fertiles. On y aperçoit parfois des ruines modernes signes de l’abandon de projet immobilier ou hôtelier depuis que le gouvernement Costa-Ricien a restreint la constructibilité pour protéger son littoral et la biodiversité de ses collines.
Le résultat, sans 4×4, les plages ne sont accessibles qu’au marcheurs très très courageux, aux vététistes ne craignant pas l’impunité routière, ou aux propriétaires de quad amateurs de poussière et du bruit de l’enfer.
Rare plage accessible en voiturette, en taxi-pirate voir en transport en commun, celle de Tamarindo.
Opposée à Playa Grande, de l’autre coté de l’anse, brille son urbanisme qui a échappé à la loi maritime.
Pas de panique, ce n’est tout de même pas Le Touquet. Sur ses quelques paillasses à l’ombre des palmiers on s’exploserait bien le ventre de ceviches en regardant les bateaux mouiller à leur corps-morts, aux larges de cette côte sans port.
A Tamarindo, les surfeurs sont racoleurs et chaque line-up est pleine de leurs élèves. Ils attendent là avec leur diable chargé de planche de toutes shape, abordant les passants pour leur proposer des cours inopinés.
Si je n’avais pas été pressée ce jour là, je n’aurais pas vaincu la tentation, j’aurais enfiler mon maillot de bain, donné quelques milliers de colonnes au dealer de surf et laisser sans limite s’exprimer mes pulsions de glisse.
C’est comme si on y était! Merci pour cette description d’un pays comme celui-ci où l’on rêve tous d’y fouler les pieds un jour.