J’irais au Spiti en suivant la trace des kiangs#3

Texte précédent : premiers 5000 au pays des pikas

L’attaque nocturne de notre caravane par des Kiangs est presque passée inaperçue pour Romain et moi alors que nous nous attendions à l’insomnie d’une nuit à 5000m. Nos pauvres chevaux semblaient, eux aussi, s’être facilement remis de leur émotions.
La cavalcade contre les sauvages de leur espèce ne les a pas empêché de nous dépasser quelques heures plus tard alors que nous prenions notre pique-nique. Comme chaque jour, alors qu’elle était partie une ou deux heures après nous, elle est arrivée au prochain camp… une ou deux heures avant nous. Alors que Romain et moi nous culpabilisions de notre lenteur, Rigzin se réjouissait lorsqu’il voyait apparaître derrière nous nos trois amis suivi d’une file de chevaux, il savait que le camp serait installé avant notre arrivée et que nous n’aurions plus qu’à siroter notre thé au soleil. Parfois même, surtout dans la deuxième partie de notre marche, nous le sentions se détendre d’un coup, car il devenait certain que nous étions sur la bonne route et il pouvait se faire confirmer le chemin par Sanju qui l’avait déjà parcouru.
La carte IGN s’est surfait!

En tous cas, en ce troisième jour de trek, nous nous levions avec un ciel d’un bleu céleste au milieu d’une large plaine qui n’avait connu et ne connaîtra jamais l’ombre…
Un temps parfait pour se laver me direz-vous. J’aurais tenté, cachée derrière la tente à l’abris des regards prudes de notre équipe mais cela m’aura valu de perdre les sensations de mes doigts, engourdis par l’air glacial.

Même si l’étape du jour commençait rudement par l’ascension d’un col, d’épais gants et un bonnet de laine acheté au festival de Sani au Zanskar  n’étaient pas de trop.
Jusqu’au Shingbuk La à 5300m, nous nous élèverons doucement, nous arrêterons régulièrement, non pas pour nous économiser mais pour profiter du paysage, regarder Dorje et Lobsang brûler nos déchets organiques et empaqueter ceux qu’ils ramèneront à Leh à leur retour. Puis ils se confondrons à la steppe, indiscernables parmi les rochers et mottes de terre. Vu de là, le dernier col passé la veille s’applatissait. Les strates des collines lointaines donnaient la couleur de l’histoire géologique de cette jeune chaîne de montagne éocènienne*.
Voilà 40 millions d’années que le temps, aidé des éléments, mettait à nu son histoire par le dévoilement de strates successives.
Nous, nous vivrons peut être 80 ans, un claquement de doigts à l’échelle géologique. C’est déprimant, la vie est fugace et nos préoccupations quotidienne semblent alors une futile perte de temps. Ne plus y penser, ne plus se retourner et fixer les drapeaux à prière, notre seul horizon ce matin là.

Les drapeaux à prière sont les seules traces de passages humains du Rupshu au Tso Kar. Ici les marcheurs, les cavaliers, n’ont pas cherché à avoir d’emprise sur la nature.
A part à “kiki soso La gyalo”*, seuls l’humilité et le silence raisonnaient dans nos esprits. Ici, les cols sont des points de passage, de repère peut être, pour les nomades et voyageurs, non des trophées à pêcher au bout d’une perche à selfy comme cela peut être le cas sur la Manali-Leh Highway.

Tso Kar

Qu’est ce qui nous motive alors à arriver plus vite aux cols ? La récompense d’un nouveau paysage dévoilé. Chaque col est une pochette surprise visuelle car au Rupshu le désert n’est pas synonyme d’uniformité.
Au col, au Shingbuk La, notre horizon, jusque là limité à un amoncellement de fils de cotons, se morcela alors en lointaines collines arides surmontées de glaciers. Leur pente s’adoucit jusqu’à se confondre à la steppe, se verdir des marécages salins entourant le lac Tso Kar et se dissoudre dans ses eaux bleu-givré.

Ses plaines, grouillant des plantes salées qu’ils apprécient, devenaient le territoire des Kiang. Les troupeaux étaient partout, ne craignant pas la route ou les nomades sédentarisés vivant non loin.
Comme eux nous camperons à proximité du lac ce soir.

Alors que nous pensions être seuls avec les pikas*, à une centaine de mètres, un troupeau de kiang nous observait, droits et fiers comme toujours. Un jeune tètait sa mère ignorant notre présence.
Mais ce beau moment marqua aussi le début des problèmes de MAM ”Mal Aigu des Montagnes” de Romain. Maux de ventre, fatigue musculaire puis un épuisement tel que Rigzin et moi n’arriverons plus à suivre son rythme, bien trop lent. Nous devions nous relayer pour délayer nos jambes et ne pas laisser Romain derrière malgré le piétinement qui fera souffrir nos pieds et mettre au défi notre patience.

Je craignais pour la suite de notre périple.

Au bord du Tso Kar, la BRO, la Border Road Organization, l’armé pour simplifier, avait construit une route. Rigzin évoqua le fait que nous pourrions trouver une place dans une jeep de passage pour ramener Romain à Leh.
Je ne pouvais évidemment me résoudre à continuer sans lui et abandonner cette marche dont rêvais depuis toujours.
Alors je me suis assise pour laisser se dissoudre ces pensées négatives dans l’immensité. Les trois Français vertacomicoriens que l’on avait dépassé ce matin et qui souffraient de l’altitude étaient désormais loin devant nous. Nous les recroiserons quelques jours plus tard alors que l’état de l’une des leurs, souffrant fortement de l’altitude les aura poussé à abandonner au Tso Moriri. Ce furent les seuls trekeurs que nous croisâmes et le saucisson qu’il nous offrait aux cols allait nous manquer.

Après trois jours de wilderness, le descente du col était d’autant plus difficile que l’on pouvait apercevoir la fameuse route empruntée par les jeeps de touristes, celles de l’armée et les bruyantes Royal Enfield de motards à la passion inconciliable avec les nôtres : la nature silencieuse, le voyage minimaliste.

Notre bivouac était installé près d’une résurgence où les militaires venaient bruyamment pomper leurs réserves d’eau.
Mais, en faisant abstraction de cela, en détournant son regard de la route et surtout en arrêtant de rager contre les déchets du tourisme et des nomades déposés sur ce tapis vert marécageux, on se complaisait dans notre malheur d’avoir à y passer toute une journée. Nous avions décidé de ne pas repartir le lendemain, laisser Romain ne rien faire et sa moëlle fabriquer tranquillement les globules rouges dont il manquait.

Vie de camp au Tso Kar
Ma nuit sera longue. Couchée à 20h je me réveillerais onze heures plus tard. Peut-être bien que Romain n’était pas le seul à avoir besoin de repos…
Il soufflait un vent à décorner les yacks alors nous deivons nous abriter dans la “dining tent” pour prendre notre petit déjeuner.
Dining Tent, Kitchen tent, Toilet Tent… trop de tentes me direz-vous, trop de confort, pas assez de simplicité. Lorsque que nous réfléchissions à l’organisation de cette marche et lors de la réception des premières info de Rigzin qui nous indiquait qu’il faudrait au moins 6 chevaux nous nous sommes dit que cela faisait trop de logistique pour nous qui cherchions la sobriété.
Mais nous n’avions pas l’esprit, ou l’égo, d’aventuriers partant 20 jours en autonomie totale dans une zone déserte, en très haute montagne, sans sémaphore indiquant le chemin, sans aucun moyen de communication (même le téléphone de Rigzin ne pouvait émettre dans cette zone frontalière tendue contrôlée par l’armé). Non, je l’admets je n’était pas assez forte ni physiquement ni mentalement pour cela. Et puis vous ne trouverez jamais un guide local, même un ami, qui accepte de vous mener dans de telles conditions. Alors nous avons dit “oui” à ce grand déballage même si je ne me remettrais jamais de la vue de notre “toilet tent” rose se dressant dans les steppes, aberration dans le paysage.

Ce matin, pour une fois, nous n’avions pas à nous soucier d’avoir un pas léger alors notre estomac n’allait pas l’être non plus. Je me suis donc jetée sur le petit déjeuner préparé par Lobsang : chapatis, pancakes, omelettes, porridge, riz-au-lait, confiture d’abricot du Sham, miel du Cashemire, fruits. Les apports nutritifs étaient toujours complets avec Lobsang et Dorje aux fourneaux. Mais après quelques jours en altitude mon système digestif se mettait au rythme de mes pas : lent. J’avais la journée pour digérer mais par la suite j’allais devoir être plus frugale.

Notre cook et ami : Lobsang

Un seul objectif aujourd’hui : laver mes cheveux, ni trop tôt, ni trop tard, juste au bon moment pour qu’ils aient le temps de sécher avec le soleil sans givrer.
Je ne me souviens pas m’être lavé les cheveux plus de deux ou trois fois sur tout le trek, je devenais ainsi une vrai Tibétaine (cf : mes lectures relatant les rencontres de Tibétains de voyageur pré-invasion Chinoise : Bimal Dey, Alexandra D. Néél ). La seconde fois, c’est avec l’eau directement puisée dans le torrent du Parang Chu que je fis l’expérience de la douleur du cuir chevelu sur lequel on verse de l’eau glaciale et qui donne alors l’impression de se rétracter.

Je passerais le reste de la journée à laver mes chaussettes et à faire des aller-retours auprès de Romain pour le forcer à s’hydrater en attendant le spectacle des ombres portées de fin de journée.

R’lung ta – Chevaux de vent
Notre seconde nuit au Tso Kar avait été remué par le vent. Ici chez eux, les kiangs auraient pu être appelés “Lungta”, chevaux du vent, comme le sont les drapeau à prière.
Ces mouvements de masse d’air traversaient la toile de notre tente, engourdissaient le visage et asséchaient la gorge. Le buff sur le visage et tourné dos au vent la nuit aurait pu me permettre de bien dormir mais c’était sans compter du notre fée clochette des steppes, notre jument blanche qui vint brouter à proximité. Réveillé au milieux de mes rêves, perdue, je me pensais à la nonnerie de Tungri réveillée par les cloches des religieuses. A 6h du matin, lassée de regarder le bas plafond de ma tente, je sortie m’assoir dans son étroit auvent pour contempler les premiers rayons du soleil sur l’horizon lacustre et montagneux. Les nuages obstruaient le ciel créant un jeu d’ombre sur les montagnes encore plus admirable.
Pour donner un peu de vie à tout ça, nos chevaux s’étaient rapprochaient et Sanju, notre horse-walla*, les appelait en s’adressant à eux avec douceur. J’étais heureuse de voir quelqu’un qui aimait sincèrement les bêtes dans ce pays où les chiens sont plus souvent battus que caressés. Lui, il les appelait en criant comme un loup. Lorsqu’il ne s’occupait pas de ses chevaux, il rigolait, il chantait, il aidait. Pourtant, sa vie n’était pas de tout confort. Il dormait sous un simple drap soutenu par une grande branche et tendu par quelques sardines. Pour accompagner ses bêtes il portait de vieilles baskettes rapiécées grossièrement.

Lors de l’avant dernier jour de notre trek, après nous être levés la nuit pour atteindre le col “Parang La” à 5600m après une longue ascension sur le glacier du même nom, après plus de 7 heures de descentes et remontées nous étions épuisés, nous prenions les pieds dans les rochers au risque de glisser d’un sentier pas très élevé mais très escarpé. Alors, nous avons demandé à Rigzin de l’aide, un cheval à enfourcher. Sanju, déjà loin devant à donc fait demi-tour avec un des chevaux. Romain et moi nous sommes relayés pour l’enfourcher, c’est là que j’ai remarqué les chaussures de cet homme qui ne se plaignait jamais et que je me suis sentie honteuse. Honteuse de me plaindre de ce que je considérai alors comme des saletés de chaussures pourtant achetées à près de deux centaines d’euros qui me faisaient souffrir depuis des jours…

Notre horse-walla : le bienheureux Sanju

 

Un commentaire pour “J’irais au Spiti en suivant la trace des kiangs#3

Répondre à beatrice Annuler la réponse.

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *