Cet article résume ma formidable rencontre avec le très grand photo-reporter Reza.
Je n’ai pas envie de parler de cette rencontre comme étant « La » rencontre, car Reza, qui considère qu’il n’y a pas de plus belles rencontres que celles de chaque instant, ne le voudrait surement pas. Pour lui, en tout Homme réside toute la philosophie de l’humanité.
Néanmoins, cet homme qui donne tant d’importance à la transmission et à l’éducation est l’un des plus inspirants que j’ai pu rencontrer car justement, son envie de transmettre lui donne cette faculté de s’ouvrir aux autres avec une grande simplicité, qu’ils soient des « Massoud », des « Benazir Bhutto », des enfants turcs ou de simples étudiants français.
« Humilité » sera le maître-mot de cette rencontre. Ces Grands Hommes confirment ma théorie selon laquelle l’égo des Hommes est inversement proportionnel à leurs réalisations.
Cette rencontre a donc eu lieu le jeudi 21 janvier 2016 à l’occasion d’une conférence organisée par des étudiants et personnels de l’INSA Centre, école d’ingénieur où j’ai suivi mes études. J’ai alors eu la chance de partager un très instructif dîner en petit comité avec Reza et quelques autres INSAiens.
Reza et moi séjournions pour l’occasion dans la même chambre d’hôte. Son arrivée dans notre auberge, accompagné de mon ami Jean-Marc, fut l’occasion de notre premier contact.
Charismatique, il était vêtu de façon singulière, un élégant gilet par dessus une chemise noire, l’appareil photo en bandoulière qu’il ne quittera jamais. Reza tel que je l’imaginais.
Ce que j’imaginais moins c’était cette bise, chaleureuse, qu’il m’offrit alors que je m’approchais timidement pour lui serrer la main.
Alors que nous nous installions pour boire un thé, Reza sortit de son sac une pile de DVD qu’il offrait à l’école en décrivant : « ça c’est le dernier film que j’ai fait avec Massoud ». Le ton était donné.
Même si je ne suis manifestement pas une combattante afghane, Reza me questionna, s’intéressa et la discussion démarra. Jean-Marc lui parla de mes récits de voyage et Reza enchaîna en nous parlant de son fils qui se lançait dans l’écriture et le cinéma.
Une anecdote lancée par Jean-Marc m’apprit que que Reza n’est pas un « techno-geek » de la photo comme la génération photoshop en sort des milliers. Le matériel a très peu d’importance pour lui pour qui la photo n’est pas une fin en soi mais « une plume qui sert aux conteurs ». J’approuve.
Un photo-journaliste doit savoir composer avec simplicité dans le but de fournir un support visuel qui rend accessible à tous la compréhension des problématiques de société et tout en glorifiant la beauté de l’humanité.
Puis les journalistes locaux sont arrivés pour une conférence de presse. Captivée, j’écoutais. Ma plus grande peur étant celle d’oublier et ayant à cœur, moi aussi, de transmettre, je notais les inspirantes leçons contenues dans chacune de ses paroles.
Sa relation avec les enfants qu’il photographie fut évoquée.
Les enfants sont pour lui les premières victimes de la guerre. D’elle, les grands médias montrent surtout les militaires et n’insistent pas sur le plus important : le bouleversement sans pitié de vies si précieuses, celles d’êtres humains dignes, celles d’enfants qui perdent leur paradis. Qu’un taudis ou un palace soit détruit, c’est le berceau d’une naïveté enfantine qui disparaît.
Mais de premières victimes, ces enfants prennent rapidement le rôle de premiers Espoirs. C’est pour cela que Reza choisit de photographier non pas la violence, les morts, l’horreur mais ceux qui restent, comme ce petit afghan au regard décidé sortant de l’école avec une pousse d’arbre et à qui il demande « Mais que vas-tu faire avec cette plante ? » et qui répond, dans un environnement dévasté où même les arbres avait perdu l’espoir de s’élever, « Je vais en faire un arbre».
Et je me dis que de cette rencontre moi aussi je voudrais en faire un arbre !
La guerre, il en fut question lors de la conférence qu’il a donné à l’INSA : « La guerre de l’énergie ou l’énergie de la guerre ». Un sujet excellemment bien amené au travers de photos prises au Moyen-Orient, en Asie Centrale et par delà. Une conférence qui a donné l’espoir qu’un jour, lorsque tous les citoyens auront accès à une information non biaisée, ils comprennent qu’un choc des cultures nous menant inévitablement au choc de la guerre n’est que chimère. Qu’ils comprennent que les racines de la violence tiennent en une manipulation de la souffrance au profit de ploutocrates visant à déstabiliser les états. Qu’ils se lèvent contre les véritables barbares, ces chantres du pouvoir, de l’égo et de l’argent.
De la guerre à l’humanitaire
L’une des photos bien connue de Reza, celle de Yasser Arafat observant le front à travers une fente de bunker, il l’a prise en prenant seul le recul que fuyaient des hommes courant tous dans la même direction.
Ce recul utile aux prises de vue, Reza l’a aussi dans ses prises de position. Puisque, depuis ses premières photographies, il a compris que ce média pouvait, faire passer des messages forts mais surtout d’offrir un support d’expression à des pans de la société en mal d’identité, créant ainsi un lien entre Hommes qui ne se seraient jamais côtoyés autrement qu’à travers ces images.
Ainsi, il consacre 50% de son temps pour des œuvres à vocation humanitaire et éducative. Ses intelligents programmes de formation à l’expression par la photographie dans les « banlieux » dites difficiles comme au Mirail à Toulouse ont permis de faire se rencontrer des populations qui par manque d’ouverture ne se seraient jamais rencontrées.
De part ses engagements, Reza met en œuvre son optimisme, c’est pourquoi il utilise les regards de ses sujets comme une fenêtre sur l’espoir. Il considère que c’est en montrant la beauté qu’il y a en chaque Homme, en chaque lieu, il met le mieux en avant l’absurdité de la souffrance et la nécessité de travailler à son abolition.
Mais il n’y a pas qu’à travers son viseur que Reza voit du bon en toute chose. Il est assez incroyable d’entendre un homme raconter ses multiples arrestations par le savak, la police secrète du Shah d’Iran, son emprisonnement et la torture sans colère ou haine. Au contraire, de sa première arrestation alors qu’il avait 16 ans, il garde les encouragements d’un père qui, bien qu’apeuré lui aura donné la volonté de continuer sa bataille. Des ses trois années passées dans les geôles du Shah d’Iran, il garde l’ouverture d’esprit et la culture que lui ont transmit ses codétenus, grands intellectuels pour la plupart, et dont les connaissances constituaient une menace pour un régime fondé sur l’ignorance.
C’est d’ailleurs en prison que Reza a appris le français.
Parce qu’un camp de réfugiés regroupe parfois des milliers de personnes, Reza les voient comme une formidable opportunité de rassembler pour instruire et former pour qu’une fois la guerre terminée ces Hommes repartent avec un bagage contre l’obscurantisme.
Voilà les grandes lignes de ce que j’ai pu ressentir et apprendre durant quelques heures au contact de Reza. J’en retiendrai que, sous couvert de bonté, il faut aller au bout de ses convictions et que rien ne doit nous laisser douter qu’il existe partout dans le monde d’une humanité formidable à laquelle il est nécessaire de s’ouvrir.
Je terminerai par un grand bravo à l’association R3 de l’INSA qui a travaillé à mettre en place ce cycle de conférence! Chapeau!