La plupart des voyages que j’ai fait l’ont été en Asie, là où le choc culturel est prépondérant sur toute chose et où même les paysages exotiques ne marquent pas autant les esprits que les visages hétéroclites.
A chaque fois, j’en suis revenue bouleversée, remettant toujours en question mes points de vue sur la nature humaine.
Cette fois en Ecosse, c’est la Nature, celle qui ne doit rien à l’Homme qui aura marqué mon voyage. Ce que je retiendrais, ce qui m’a chamboulé ? une succession de paysages qu’on n’imagine pas pouvoir se juxtaposer.
Un dimanche de la fin mai, après avoir traversé, en train, les Highlands depuis Glasgow, nous voilà, sacs à dos remplis, embarquant sur un ferry. Sur une mer des Hébrides tout autant agitée que nous sommes excités, il nous mène de Malaig à Armadale.
Depuis le pont, la vue sur les collines des highlands s’estompe dans des nuages d’un bleu minéral et menaçant. Mais, cet après-midi là, ils restent accrochés aux sommets de ces petites montagnes et nous laissent débarquer sous le soleil dans le petit port méridional de Skye.
Les pieds sur terre mais la tête en l’air, nous réalisons que nous n’avons pris aucune note des indications permettant de nous rendre au Flora Mac Donald Hostel, notre auberge.
Le pire des mauvais plans c’est que nous n’en avons aucun. L’unique cartographie du village disponible à la sortie du port n’en faisait aucune mention. Entre temps l’ensemble des passagers s’étaient dispersés, en moto, en vélo, en auto, nous laissant seuls avec nos sacs à dos.
Optimistes, nous ne nous faisions aucune crainte de trouver quelqu’un, qui ne serait pas un backpacker naufragé du ferry comme nous, et qui nous indiquerait le chemin. Nous nous sommes donc mis en marche, suivant une route se déployant le long des côtes en direction du Nord.
Après de longues minutes en solitaire, dans un silence nous faisant passer pour les seuls rescapés d’un cataclysme, une ado vétue de noir telle une messagère de la Camarde croise notre chemin. Jovialle, contrairement à son accoutrement, elle met toute sa bonne volonté à essayer de nous aider mais n’a connaissance d’aucune auberge de jeunesse, d’aucun hotel pour backpackers mal accoutrés. Sincérement désolée, s’excusant mille fois, elle poursuit sa route avec une moue de déception. En poursuivant notre chemin nous appercevons un panneau semblant indiquer un centre hôtelier de Luxe portant le nom de “something Mac Donald” et pensons tenir là une bonne piste. C’était sans savoir que la moitié des habitants de la ville portent le même patronyme et qu’il n’avait rien à voir avec une quelconque Flora (ou un quelconque clown jaune et rouge). Déboutés, nous revenons sur nos pas nous voyons débouler en courant l’ado qui nous fait de grands signes nous criant que sa mère arrive en voiture pour nous déposer à l’auberge!
C’était là notre premier ressenti de la chaleur, humaine, qui allait réchauffer la grisaille de Skye à bien des occasions.
Alors que nous n’avions jamais fait de stop, nous avons pu bénéficier de la solidarité, inversement proportionnelle à la pression atmosphérique, de nombreux automobilistes écossais et ainsi partager pendant quelques kilométres des moments de vie de baroudeurs.
Ce fut notamment le cas pour nous rendre au départ du trek puisque, très avisés, nous avions décidé de débarquer au Sud de Skye pour la parcourir du Nord au Sud… chercher l’erreur.
Nous avions tout misé sur la compagnie de bus StageCoach pour nous amener jusqu’à Portree et de Portree à Rubha Hunish. Mais voilà, chanceux comme nous l’étions, la fiche horaire sur laquelle nous nous étions basés expirait exactement ce jour là et nous sommes retrouvés à attendre un bus qui ne passerait jamais.
Armés d’un panneau de stop “Portree Please” griffoné difficilement au stylot bic, nous avons fini par nous faire emmener par un jeune polonais génial, à la tronche d’un Alex Honold détrempé, fan de montagne, de grimpe, de nature, comme nous quoi, et qui vivait en Ecosse dans sa grosse voiture.
Nous sommes ainsi arrivés à temps à Portree pour prendre le bus jusqu’à Rubha Unish.
A Rubha Unish, avant de faire demi-tour, le bus nous déposa à proximité d’une cabine téléphonique british posée là, dans cet espace sauvage, comme un étendard rappelant, en cette période de schyzophrénie nationaliste, que l’Ecosse était encore bel et bien liée à Londres.
Premiers pas au sec
Pour nos premiers pas sur les sentes Skyeiennes, tous les clichés Ecossais se mélangaient et peignaient un tableau où s’estompaient très rapidement nos déboires logistiques : vaches poilues observant la mer du haut des falaises “kilt rock”, sentiers marécageux, nuages sombres. De belles éclaircies faisaient scintiller au loin les maisons d’un blanc imaculé, points de repères vers notre auberge du jour “Dun Flodigarry hostel”.
Annabel et Brian, deux dynamiques quincagénères écossais, nous y accueillirent avec chaleur. Nous avons pu profiter de la micro-épicerie de l’auberge pour préparer des plats un peu plus élaborés que des liophilisés, à base de produits locaux : des oeufs et du shedar. De quoi partir reboostés le lendemain pour une seconde étape très différente à bien des égards.
Erreur de débutant – La brêche
Pour cette seconde journée, une stupide erreur de routage aurait pu nous mettre dans de beaux draps mais nous emmena dans une prison volcanique dont la visite nous a surement permis d’éviter l’hypothermie sur le Trotternish Ridge.
Après avoir salué, nos adorables hôtes nationalistes nous partions donc vers l’inconnu, le sac lourd des provisions qui devaient nous permettre de nous nourrir pour les trois jours suivants qui s’annonçaient solitaires.
Le son des pales de l’éolienne du Dun Flodigarry Hostel, nous rappelait que nous laissions derrière nous douches chaudes et dortoirs douillets (bien qu’animés de choeurs de ronflements disgracieux).
Nous étions censés entamer la première partie de la traversée du Trotternish ridge et nous plonger au coeur d’une nature sauvage avec deux bivouacs loin de tout édifice humain, de toute coulée de béton. Tout ça au grès des vallons et crêts issus de coulées magmatiques. Mais nous avons surtout pris une leçon et compris que c’est la nature qui décidait des treks des hommes et non l’inverse.
Dans ce dédale basaltiques nous avions l’impression d’avoir plus de chance de croiser un stégosaure qu’un homo-modernicus. Et pourtant, ces paysages avaient un attrait touristique incontournable. Tolkien avait du s’asseoir un jour sur ces plateaux pour trouver l’inspiration des paysages austères de sa trilogie.
Mais par les temps qui courent, s’il y avait une austérité dont nous voulions bien voir la couleur c’était bien celle de ce plateau basaltique qui s’épanchait en bordure de la péninsule de Trotternish : le Quiraings. Ses orgues volcaniques, témoins du démantélement géologique du plateau produisaient un paysage spectaculaire.
Fatigués par les éléments, nous avons tenté de mettre à l’abris d’un gigantesque bloc qui s’était éffondré vers la mer comme s’il avait voulu saluer la liberté des baleines en route vers les mers du Sud.
Reprenant notre route, après une lecture baclée de notre carte noyée et chiffonée par les bourrasques, nous avons pensé devoir traverser une brêche qui nous menerait vers Le Ridge. Notre dévolu fût donc jeté sur la première gigantesque faille qui nous paraissait être La Brêche.
Nous y découvrons un ébouli de blocs rocheux, coincé entre deux falaises, semblant monter franchement vers un plateau.
A peine l’ascension débutée, les rochers se faisaient la malle sous nos appuis rendus lourds par le surpoids de nos sacs à dos. Cette surcharge inhabituelle me faisait perdre tout mes repères, je n’étais pas capable d’estimer la probabilité qu’un rocher dévisse sous mon poids ni même de savoir jusqu’où mes cuisses accepteraient de me pousser.
Plus nous avançions, plus j’avais la certitude que nous n’étions plus sur le trail. Les pieds devaient être placés avec précaution, le regard aussi, car il risquait de tomber sur les entrailles de moutons ayant sucombé à une chute de plusieurs dizaines de mètres.
Ce que les anglo-saxon appellent le scrambling, une pratique entre l’escalade facile et la rando n’était pas prévu au programme mais il était trop tard pour faire demi-tour. Je craignais qu’arrivés en haut nous ne déboullions sur le haut d’une falaise, sans issue. Heureusement ce ne fut pas le cas. Epuisés, mais arrivés au sommet, nous avons trouvé de nouveaux sentiers de randonnée.
Outre la météo qui se gâtait de plus en plus, sur notre plateau d’attérrissage, nous avons alors du affronter la plus grande des difficultés : se sentir bête.
Mais le retard accumulé est surement ce qui nous a préservé d’une encore plus désagréable mésaventure.
Remis de nos émotions nous avons suivi un sentier, le bon cette fois.
Nous circunambulions autour de The Needle comme pour implorer le pardon des esprits des lieux avant d’entamer notre ascension du Ridge (1700m de dénivellé positif), “The Ridge”, l’inaccessible star du trek reignant sur le Nord de Skye. Mais “The Ridge” semblait avoir décidé que nous n’étions pas assez digne de lui.
Alors que nous arrivions à son pied, la pluie continuait à tomber drue. Un vent démoniaque lui servait de partenaire dans le sabotage de notre ascension.
Mettre un pied devant l’autre sans être déséquilibrés dans ces marécages boueux où nous nous enfonçions jusqu’à la cheville était devenu impossible. (à quand les sac à dos profilés contre la prise au vent ?).
Une fois sur le crêt, nous espérions trouver un abris, un petit vallon, un rocher, une falaise où se reposer et surtout se réchauffer. Nos mains gelaient, fouettées par la pluie et le vent. Enlever la goretex pour tenter d’enfiler la polaire aurait été contre productif sous cette tempête. Clanquant au vent, ces vestes fluo n’auraient alors servi que de drapeaux signalant notre détresse aux moutons ébêtés.
Jamais auparavent je n’avais ressenti cette sensation de vulnérabilité, tremblant et craignant l’hypothermie. Six heures après notre départ, nous avons alors décidé de revenir sur nos pas, traversant à nouveau ces marécages de la mélancolie pour essayer d’atteindre une route où nous espérions faire du stop avant une trève vespérale.
La déception était grande, le trek, qui avait si bien commencé, se transformait, du jour au lendemain en cauchemar.
Après de longues minutes de stop, deux allemands ayant eu pitiés de notre allure spongiforme ont proposé de nous ramener au Dun Flodigarry Hostel où, tout penauds, nous avons raconté à Brian notre mésaventure, cherchant un peu de compassion et surtout deux lits et surtout une douche bien chaude. Brian n’avait plus de lits, mais un jardin à l’abris du vent où planter la tente. Selon lui, nous avions pris la meilleure décision en revenant sur nos pas (si tant est que nous avions vraiment eu le choix) car la tempête était annoncée pour durer et s’envenimer.
La veille, à l’auberge, j’avais discuté avec un Irlandais ronchon, je n’avais pas compris grand chose à son baragouinement si ce n’est qu’il avait échoué deux jours de suite à l’attaque du Ridge à cause du mauvais temps… peut être que j’aurais dû faire davantage d’effort pour poursuivre la conversation et tenter d’en savoir plus.
Malheureusement, ce ne fût pas la seule déception météorologique du trek. Quelques jours plus tard, le bivouac paradisiaque de Cladach A’Ghinne bay se transformait lui aussi en un mauvais film dont les acteurs principaux étaient la pluie et le vent.
Ce ne fut pas, non plus, notre seule erreur d’orientation. A Torin, après avoir posé notre barda dans le b&b d’une mamie au rude accent, histoire de défouler nos jambes, sans fardeau sur nos épaules, nous avons eu l’ambition de gravir les 700m du Beinn Dearg Mhor.
Il faut croire qu’un Esprit-Des-Ebouilis cherchait à nous attirer vers les embrouilles, car une nouvelle fois nous nous sommes retrouvés à nous demander si nous allions finir ensevelis sous un tas de cailloux après que des rochers instables se soient dérobbés sous nos pas. La pyramide de roches nous aurait fait un beau tombeau fasse à la mer.
La marche du dahut
La tempête un peu calmée, après une journée de repos contre notre volonté, que j’ai passé en partie renfrongnée au fond d’un canapé, en partie amusée par l’observation des phoques sur la plage, nous avons pris place dans un bus scolaire à Flodigarry pour reprendre notre randonnée-aquatique du côté du Old Man of Storr.
La veille, un miracle avait eu lieu au Dun Flodigarry Hostel. Les trekeurs, naufragés de la pluie, passaient leurs nerfs sur la vaisselle ou noyaient leur désespoir dans un bol de tisane quand un rayon de soleil les éblouit. Tous se massèrent à la fenêtre avant de sortir, appareil photo à la main, pour capturer la lumière intense qui se frayait un passage entre deux nuages gris souris. L’instant paraissait exceptionnel, comme si un Moïse Scot venait de fendre les nuages pour indiquer le chemin vers une terre promise, sans déluge.
A la reprise de notre marche, même si le ciel était menaçant, nous étions rassurés par le fait que nous finirions la journée à Portree, plus grande ville de Skye, où nous allions pouvoir trouver confort, “sausages”, “mushrooms” et “potatoes”. Nous avions même grand espoir de pouvoir acheter des gants waterproof et windstopper. Je ne parle pas de gants MAPA achetés au Coop’ du coin mais bien de gants de montagnes en vente dans l’unique boutique de sport “outdoor” de Skye. De mes mains gantées j’imaginais déjà faire un pied de nez aux éléments et continuer le trek dans ma combinaison hermétique.
En attendant, nous devions contourner les ruisselets de boue qui entouraient The Storr comme pour creuser des douves protectrices autour de ce monolythe attire-touristes.
La pente marécageuse qui plongeait dans l’océan ne faisait pas rempart au vent extrèmement violent qui soufflait. Ses bourrasques déséquilibraient nos jambes mal agiles dans la végétation imbibée d’eau, nous obligeant à adopter une démarche de dahut. Les nuages profondéments noirs survolaient le Ridge comme dans un film en accéléré, passaient le loch et venaient déverser leurs glaçons dans les tréfonds marins.
Ils nous obligaient à nous arréter, à tourner le dos, à attendre. Attendre la fin d’une averse dont, avec l’expérience, on commençait à avoir la capacité à déterminer la durée en fonction de la vitesse du vent et de l’observation des masses sombres.
Le vent qui bourdonnait sans cesse dans nos oreilles finissait par nous rendre fous. Chaque nouvelle averse de grêles, plutôt que de nous faire rager, déclenchait chez nous éclats de rires totalement détachés. Je ne sais toujours pas si les paysages que nous avons alors observé étaient issus de nos délires mais la vue des montagnes trempant dans les eaux de l’Atlantique semblait onirique, tout comme l’arrivée à Portree par le vieux port aux maisons roses qui se reflétaient dans les eaux étrangement calmes.
De Portree à Sligachan sur du macadam
Malgrè notre reposante soirée passée au Portree Independant Hostel, au chaud, au propre, à déguster sausages et potatoes, le lendemain, les épaules avaient bien du mal à supporter le fardeau qu’était mon sac, alourdi par les batailles menées la veille contre les intempéries.
D’autant que ce jour là, le trail longeait une route et que marcher sur du macadam éprouvait d’avance la plante de mes pieds que je trainais de mauvaise volonté.
Mais ce dérivé pétrolifère se transforma en fait un tapis rouge vers des paysages aux couleurs intenses et inattendues.
Les villages d’éleveurs de “vaches à franges” tels que Camastianavaig et Gendintailor formaient des balcons sur les lochs et bras de mer.
La route serpentait entre les colines, créant ainsi un effet de suspens quant aux paysages qu’elle nous dévoilait à chaque virage que l’on prenait.
L’arrivée sur la baie de Balmeanach et son panoramique sur l’île de Rasay constitua l’apogée de notre marche-macadamesque.
Les moutons semblaient, comme nous, abasourdis par les paysages, n’en croyant pas leur laine que le ciel puisse offrir mélanger ainsi les couleurs de plusieurs saisons dans une même palette. L’image de deux moutons couchés face la mer, tête contre tête à observer le paysage était d’une incroyable douceur, qui aurait cru que les moutons étaient eux aussi sensibles à la poésie des paysages ?
Sligachan de gué en gué :
Pour une fois les nuages restaient distants, nous permettant de crapahuter de dyke en dyke à la recherche de phoques ou simplement du meilleur angle pour capter cette lumière inédite.
Passant du tout au tout, nous avons quitté la route pour replonger nos chevilles qui commençaient à se désécher dans de profonds marécages menant en bordure du loch Sligachan.
Il fallait atteindre le fond du loch pour ensuite parcourir de nouveaux sentiers marécageux pour enfin arriver sur le terrain de camping de Sligachan… malheureusement marécageux lui aussi. Le chemin était droit, tracé mais éprouvant, nous nous enfonçions dans les fondrières, crapahutant, escaladant, bondissant pour franchir les nombreux gués qui se jetaient dans le Loch et nous barraient la route.
Je n’ai pas trouvé un grand intérêt à poser la tente sur ce terrain de camping si ce n’est de pouvoir se décrasser sous une douche tiède. Comme une route passait à proximité, de nombreux vans et camping-car y faisaient halte, troublant alors notre calme si appréciable. Et que dire des amoureux de la nature qui laissent leur moteur tourner toute la soirée pour avoir du chauffage.
Au prochain Skye Trail, je marcherai une demi-heure de plus pour poser ma tente loin des hommes, dans la solitude des abords du Sgurr nan Gillean.
Solitude heureuse. Il en fût question question le lendemain quand, après notre journée de marche, je me suis assise sur un petit rocher, les pieds dans l’herbe au milieu des paquerettes. A quelques mètres d’un tapis de galets, de la grève, à quelques mètres de la mer. Les Cullins se jetant à l’eau à ma droite. Les falaises plongeant à la mer à ma gauche.
Le bonheur au naturel.
Voilà l’atmosphère dans laquelle nous avons décidé de poser notre backpack et planter notre tente.
Les villages les plus proches étaient alors Sligachan à 13km et Elgol à 5km. Personne, donc, pour mettre fin à notre plaisir autarcique à part quelques moutons et un piaf pêcheur en costume noir et blanc au bec rouge éclatant, un “Oyster Catcher Bird” selon l’appelation adéquate.
Mêmes les fameux “midges” semblaient avoir décidés de respecter notre petit moment de bonheur en plein air… A moins que notre sang au goût lyophilisé qui leur déplaisait, ce qui n’était pas impossible après une semaine à manger trop peu variée et trop déséché.
Ce paysage paraissait inimaginable après une journée qui avait commencé sous un ciel gris dans un milieu presque alpin entourant le glen Sligachan, entre les “Red” et “Black“ Cullins.
La transitions du milieu alpin au milieu marin se fit en parcourant les rives du Loch Creithach dans lequel se reflettait le sommet enneigé du Sgurr Hain et qui s’ouvrait sur la baie de Camasunary.
Si, initialement, nous pensions passer la nuit au sein de cette baie, dans un bothy, la vue des eaux souillées par les déchets de pêche et accessoirement le fait que le bothy était fermé à clé, nous incita à continuer notre route le long d’une étroite falaise où il ne valait mieux pas être sujet au vertige.
Du paradis à l’enfer
Mais voilà, si nous nous sommes couchés au paradis ce soir là, nous nous sommes réveillés en enfer. La nuit fut agitée et rythmée par les ricochets de la pluie sur la toile de la tente. Naïvement je conservais mon enthousiasme cultivé la veille et en me disant qu’on ne pouvait pas passer d’une journée au soleil à une journée sous la tempête. Bouquiner un peu, bien au chaud dans mon duvet, laisserait aux nuages le temps de passer.
Mais voilà, une envie pressante m’obligea à sortir de la tente et je me fîs surprendre par un sursaut de réalisme. Les montagnes avaient disparu dans les nuages, la falaise était frappée par le vent, les oyster-catcher avaient fui sans prévenir.
Il fallait plier bagage avant que les arceaux de la tente ne rompent sous le vent. Trempés, nous l’avons rapidement repliée avant de tracer un nouveau raccourci du Skye Trail à travers des collines ocres qui répendaient un goût âcre à l’avant dernière journée de notre trek.
Avançant en mode “survie”, sans aucun plaisir nous n’avions qu’une hâte. Atteindre le village de Torrin et frapper à la porte de tous ses Bed & Breakfast jusqu’à trouver celui qui nous permettrait de nous sécher. Sur la route, nous avons croisé un cinquantenaire anglais qui, bien que trempé lui aussi, ne semblait pas avoir perdu de son enthousiasme. Il nous indiqua une très belle baie où poser la tente. Bien que dépités nous nous avons forcé notre plus beau sourire pour le remercier pour le bon plan mais n’avons osé lui avouer que nous allions tout faire pour ne pas camper ce soir là. Autre bon plan, il nous indiqua une bonne planque dans le village de Torrin : un café dans lequel nous réchauffer. J’imaginais alors un vieux pub délabré mais il s’agissait en fait d’un salon de thé, très “cosy”, le “Blue Shed Cafe”. La lecture de son menu nous réjouit : croque-monsieur au shedar, soupe aux légumes locaux, carot et ginger cake, chocolat chaud, capuccino… bref tout pour remonter le moral, notamment une très belle vue sur le loch, la montagne, une paire de jumelles à disposition pour observer la vie sauvage et des encyclopédies pour apprendre à mieux la connaître.
Un couple de jeunes néerlandais était posé là, se goinfrant de gateau en étudiant, l’air dépité, la carte du trail qu’ils parcouraient du Sud au Nord. Voilà deux jours de trek, deux jours qu’ils n’avaient pas vu le soleil et commençaient eux aussi à douter du fait qu’ils pourraient se contenter de nuits sous tente.
Nous nous sommes tout de même quittés sur des sourires, eux à la recherche de notre baie merveilleuse et nous partant chercher refuge dans un B&B. Une vielle dame chaleureuse, évoquée plus haut nous a accueilli et même permis de faire sécher notre tente boueuse dans sa cuisine recouverte de moquette.
Malgrè de beaux moments passés avec cette dame, nous sommes repartis pour la dernière étape du trek, le moral dans la grève. Le chemin côtier que nous devions emprunter était balayé par le vent et la pluie, toujours ce foutu couple. Nous avons donc, encore une fois, été contraints à couper par les terres, à quoi bon marcher le long de la mer si c’est pour lui tourner le dos et regarder nos pieds lassés d’être fouettés par la pluie… L’apotéose ne fut donc pas au rendez-vous de cette dernière randonnée. Nous sommes arrivés à Broadford, ville morte et grise, déçus, frustrés. Skye a énormément à offrir mais Skye est lunatique, égoiste et ne dévoile pas toutes ces beautées au premier trek. Malgrè tout, à peine fini je voulais déjà recommencer, mieux équipée, enfin juste avec une paire de gants windstopper en plus, et explorer davantage tous les recoins de cette île géniale.
Conclusion :
Nous avons marché 130 kilomètres, à quelques raccourcis près.
Nous nous avons creusé dans notre volonté et avons exploré nos limites.
A cette occasion, marcher était devenu autre chose que se rendre d’un lieu à l’autre, c’était une occasion det remettre en question les lieux communs.
Les espaces traversés se sont faits des poémes dont les sentiers étaient les vers.
Sur Skye, chaque chemin était un genre en lui même.
L’atmosphère lyrique a fait place à des situations épiques mais dans tous les cas didactiques.
Parfois satirique, elle a bocardé les trekeurs, qui en voulait à la nature de ne pas s’abaisser à leur volonté.
Bref le Skye trail est pour moi l’un des plus beau qu’il soit. L’un des plus dur aussi quand les mauvaises conditions sont réunies. Dur pour le moral, dur pour le corps. J’ai moins souffert du tour du Mustang au Nepal, plus long, en altitude, avec autant de dénivellé par jour que sur tout le Skye trail. Mais je pense que ce trek m’a beaucoup plus appris sur mes limites, sur le chemin pour les contourner (celui d’une boutique de sport outdoor pour y acheter une bonne paire de gants).