Istanbul – Chats de minaret

Si les touristes, cette catégorie de voyageurs dont nous nous excluons toujours alors que nous même en constituant la masse, se hâtent, à l’entrée des mêmes lieux je ne veux pas croire que cela soit par instinct grégaire. C’est pourquoi, dans le déroulement de ce dimanche, j’avais laissé un peu moins de place au hasard pour en faire davantage au socle culturel commun que se doivent d’avoir les visiteurs d’Istanbul. J’imaginais les files d’attentes de ces « incontournables », comparables à celle de l’incroyable déferlante de passagers qui allait se briser contre les barrières des agents de l’immigration à l’atterrissage à Istanbul.
Il n’en fut rien.

Quittant mes dormeuses du monde à 8h, je traversais, c’était presque devenue une routine, l’avenue Istiklal, pas encore remise de sa nuit blanche, afin d’attraper un Tünel , funiculaire souterrain. A son bord, un père plaisantant avec ses deux garçons, un jeune homme à l’allure littéraire et un petit rouquin, doux et amical, usager surprise venu quémander des caresses et mettre sur de tendres rails notre rame. Peut- être ce chat avait-il un IstanbulKart sous la peau ouvrant les portiques du métro à son passage.

Personne ne semblait avoir envie de chasser l’animal, même si le remord me prenait de le savoir devoir remonter difficilement la pente de Galata, rendu saoul par un trop plein d’oxygène si près du niveau de Marmara.

Mais ce chat métropolitain semblait avoir ses habitudes, ainsi, lorsque que la sonnerie indiquant l’imminente fermeture des portes retentie il se précipita vers la sortie. Dommage pour lui, les restes du marché aux poissons du pont de Galata lui auraient rempli l’estomac pour la journée.

Il était 9h pile, l’heure d’ouverture des grands monuments, quand j’arrivais à l’entrée de Sainte Sophie, Aya Sofya de son vrai nom, ce qui n’a rien avoir avec une quelconque sainte que ce soit.
Sans attente, je pu pénétrer sous sa monumentale et scintillante coupole.
A l’intérieur, deux chats volaient la vedette aux mosaïques.

Ces derniers étaient, tout à leur aise, équipés de leurs pupilles à géométrie variable. Grâce à elles, ils profitaient du scintillement discret des tesselles dorées qui répondaient aux rais de lumière émanant de lustres gigantesques. Leur agilité leur rendait accessibles des mosaïques cachées derrières les échafaudages de cette basilique-mosquée-musée.

Les travaux de restauration semblent être constants au sein de “La Grande Eglise”, les phénomènes sismiques, comme ceux du temps risquant de mettre à mal l’équilibre d’une esplanade dont le cœur balance entre la Mosquée Bleue et la Basilique Justinienne.

Bien qu’elle soit toujours en activité religieuse, en dehors de Fajr, Zuhr, Ars, Maghrib et Isha, les cinq prières quotidiennes, la mosquée bleue perd son aura sacrée. Nous, les touristes trimbalons de disgracieux sacs plastiques contenant les chaussures non autorisés à fouler les moquettes. Nous brandissons des dizaines d’appareils photos à la manière d’une main qui chercheraient à agripper la beauté du lieu qui lui filerait irrémédiablement sous les doigts. Parfois ces capteurs à souvenir pointaient au bout de perches à selfie, ces bras de Narcisse s’employant à lier des centaines de visages à des lieux centenaires.
Les suivre du regard me mena au palais Topkapi.

De la pointe du Sérail, le palais de Mehmet II domine le Bosphore. Beyoglu, Eminonu, Uskudar, Moda doivent alors refreiner leur pudeur contraints aux regards lancés depuis ses jardins. Sans aucun doute, bien agréables en été, ils offrent une prise au vent qui ne laissa aucun répis à mes mains au bord des engelures. Heureusement, les nombreuses salles d’exposition abritées dans les anciennes annexes du palais me permirent d’éviter l’amputation. Je me découvris alors une passion, tout à fait opportuniste, pour les horloges ottomanes, particulièrement celles disposées au dessus des bouches crachant un air chaud revigorant.
J’appréciai également la vue des sabres dont les fers ont croisés des lignées entières de Mehmet et autres sultans. Leur garde était bien plus originalement sculptée que celles de mes armes d’épéistes du 21ème siècle.

Mon devoir de touriste accompli, il était temps de reprendre mes pérégrinations semi-hasardeuses. Je sortis donc une carte, et un homme me demanda, donc, si j’étais perdu. Quelle blague! Etait-ce une réelle naïveté de la part de cet homme ou était elle feinte pour mieux m’aborder ? Comment pourrait-on être perdu, au beau milieu de Sultanameth, alors que les minarets de la Mosquée Bleue et de Sainte Sophie tendaient une toile où se projetaient les images d’un orient aux portes de l’occident rêvées par tant de touristes.

Je cherchais juste à me rendre, un peu plus efficacement qu’à mon habitude, dans les quartiers de Fener et Balat. Bien évidemment, l’histoire se répéta et, quittant les larges et ennuyeuses avenues, je finis par me dans des ruelles trop insignifiantes pour la masse pour voir leur nom sur mes plans photocopiés du Routard.
Mais je me sentais béate dans ces “soka” déclives qui mettaient en perspective les volets métalliques et les enseignes colorées d’échoppes en repos dominical. Les murs semblaient façonnés des mêmes brique rougeâtres que les murailles de la vieille ville, que je n’oserais nommer Constantinople tant ce nom semble onirique.

Mais à quelques détours de là, le béton gris, le béton sale, les avait remplacé, peinant à se distinguer d’un ciel qui jetait un voile morne sur Istanbul. Mais un béton plein de vie, un béton plein de babioles à la recherche d’acheteurs compulsifs. Au milieu des jeans, robes et foulards pendant des vitrines, je ne savais où donner de la tête, j’avais perdu mes repères au point de retomber sur mes pas à chaque tentative de trouver mon chemin dans ce labyrinthe

Non loin de devenir complètement folle, j’aperçu enfin l’esplanade familière d’Eminonu, son port, sa très forte odeur de poissons, qui n’était pas liée à la présence d’un marché de pêcheurs mais à celle des troquets flottants à l’allure de bateaux pirates à l’abordage de touristes las des kebabs avec leur sandwich au poisson, et ses marchands aux éventaires fournis de toutes sortes de beignets huilés et sirupeux. En retrait des vagues de touristes échouant, comme moi, dans ce port un improbable presseur de grenade tirrait sa charrette à bras et me permis d’étancher ma soif d’un doux jus pour une pauvre turkish lira avant de tenter une nouvelle fois de me diriger vers Fener. Longer les rives bétonnées et embouteillées de la Corne d’Or me semblait alors la chose la plus simple à faire. Ce fût aussi la plus désagréable. L’esprit dans le gaz d’échappement, je repris conscience lorsqu’une petite fille, couverte de poussières, telle que sortant des ruines d’une société humaine reposant sur les instables fondations des inégalités, me demanda quelques liras.
Sans réussir à atteindre Fener, c’est ainsi ou presque que se termina mon première aperçu de la ville au dessus de laquelle le ciel profite des minarets comme d’autant de points d’acupuncture destinés à soulager les tensions d’une mégalopole stressée par son envie de retrouver son importance antique, au coeur de la globalisation.

Un commentaire pour “Istanbul – Chats de minaret

  1. C’est beau de découvrir son propre pays par une amie Française….
    J’attends tes nouveaux posts avec impatience.
    En revanche pour la découverte du sud, je peux être votre guide.
    Amitié
    Mehmet

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